Random Recipe résiste à toute classification, ne s’insère dans aucun genre. La formation allie des styles musicaux qui n’ont rien en commun, à une époque où l’hybridité artistique a la cote. Mais elle le fait si bien et de manière si naturelle qu’on ne saurait voir dans son entreprise une tentative désespérée de suivre l’air du temps. Au contraire, ce qui les place au-dessus de tous ces musiciens qui mêlent les genres pour mieux se démarquer, c’est que le folk-hip-hop-jazz-électro à la Random Recipe ne ressemble vraiment à rien de connu. Ne sachant pas trop quel créneau inverstir, ils ont créé le leur et l’ont fait avec brio.
À l’origine il y avait deux voix
Random Recipe, c’est l’union improbable de quatre personnes –Frannie, Fab, Liu-Kong et Vincent– qui ne semblent avoir véritablement qu’une chose en commun : la volonté de faire de la musique, à leur manière, et d’avoir le plus de plaisir possible en cours de route. La rencontre de quatre personnalités, de quatre esthétiques, de quatre influences diamétralement opposées ne pouvait se faire que par hasard et, franchement, quel heureux hasard !
Tout a effectivement commencé par la rencontre fortuite de Frannie et Fab qui se rendaient un soir au même spectacle, et ont fini par improviser un « jam hippie » dans l’appartement de Frannie. À l’époque, avoue la chanteuse, « je connaissais trois accords et je ne chantais pas ». Fab, elle, faisait du beat-box, comme ça, pour le plaisir. Ni l’une ni l’autre n’envisageait faire carrière dans la musique. Et pourtant.
Les deux filles ont rapidement pris goût à ces séances de freestyle improvisées et elles se sont mises à se produire en public, sur les coins de rues, n’importe où. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que le bouche à oreille fasse son travail et que s’amorce la vague qui a porté le groupe jusqu’à la production d’un premier album, presque trois ans plus tard. « On n’a pas eu à cogner aux portes » confie Frannie. Le public, instantanément séduit, a fait tout le travail. On s’est mis à parler d’elles, à écrire à propos d’elles sur les blogues culturels et musicaux, tant et si bien que, bientôt, elles sont devenues presque malgré elles un « vrai groupe ». C’est lorsqu’ont commencé les prestations plus « organisées » que le duo est devenu quatuor, afin de donner aux voix un support qui les éloignerait de la formule jam. Les spectacles se sont multipliés –le premier a eu lieu au Quai des brumes–, puis les rencontres avec les maisons de disques. La machine était lancée. « Je ne comprends toujours pas comment ça se fait qu’on soit rendus là », s’étonne Frannie.
Une question de confiance
Dès leurs débuts, les membres de Random Recipe attirent la confiance, tant celle du public que des gens de l’industrie. Alors qu’eux-mêmes ne s’en croyaient pas capables, on leur assure qu’ils doivent faire un album. « On ne se prend pas au sérieux. […] On fait ça avec candeur », souligne la chanteuse. Mais il reste que ce qu’ils considèrent comme une simple partie de plaisir, d’autres y voient un énorme talent musical, un son unique, une présence scénique hors du commun. C’est donc portés par la confiance que d’autres leur vouent qu’ils en sont venus à produire un album, malgré leur difficulté à croire à ce qui leur arrive.
Fold it ! Mold it!, c’est quatre mondes en un. Frannie Holder précise : « On a tous une façon différente de percevoir l’album. Si ça avait été juste de Fab, on aurait fait du Lil Wayne […]. Moi, je suis plus du genre Coco Rosie. » Il a fallu, souligne-t-elle, trouver un réalisateur qui saurait comprendre ces quatre visions et qui, surtout, saurait les combiner, mais pas de n’importe quelle manière. C’est à Philippe Brault que revient cette tâche, qu’il remplit admirablement. L’album a été enregistré en une semaine, avec un objectif en tête : s’éloigner le moins possible du live. Chaque chanson a donc été captée comme on l’aurait fait d’un jam, plutôt que d’enregistrer chaque musicien sur une piste différente. Résultat : un album qui n’est ni poli, ni léché, où l’on privilégie l’authenticité à la perfection.
À présent, souligne Frannie, « ce n’est plus entre nos mains », et c’est sans doute ce qui fait le plus peur aux membres d’un groupe habitué au freestyle et à la spontanéité. Une fois les chansons fixées sur l’album, plus rien n’est « aléatoire ». « Je suis déjà tannée de faire « Shipwreck »», avoue la chanteuse en parlant du single de leur tout nouvel album. Mais si l’idée de pouvoir de moins en moins se laisser aller aux divagations du freestyle l’inquiète un peu, elle ajoute, simplement, que « le jour où ce ne sera plus naturel, ce ne sera plus le fun, et je vais arrêter ». Souhaitons seulement que ce jour ne vienne pas trop vite.
Ici et partout à la fois
Le ciment qui unit les quatre membres de Random Recipe, c’est la tournée. Et ils ont déjà eu l’occasion de vivre l’expérience à fond, puisqu’ils se sont promenés cet été un peu partout au Québec pour aller commencer l’automne à Paris, rien de moins. C’est sur scène, ajoute Frannie, que le groupe prend toute son énergie et qu’il trouve sa véritable raison d’être. « Tu reçois de l’amour à chaque fois que ça applaudit » s’exclame la chanteuse, une étincelle dans les yeux. On sent bien que, sans cet amour de la scène, sans l’envie, à chaque fois, de reconnecter avec le public, Random Recipe ne se serait jamais rendu jusqu’à la production d’un album. « Le studio aussi, c’est le fun », concède Frannie, mais rien n’égale à ses yeux l’expérience d’un spectacle live. « On est proches de notre public, il n’y a pas de barrière. » Quiconque a déjà assisté à un spectacle de ces quatre larrons peut en témoigner : Random Recipe sur scène, ça déménage. Maintenant que l’album est lancé, le groupe veut tout simplement tourner le plus possible. « On va jouer où on veut bien nous entendre », lance Frannie avec enthousiasme. La formation peut d’ailleurs espérer le meilleur : l’accueil en Europe a été des plus chaleureux, et ils courtisent déjà nos voisins du Sud.
In english, please…
Random Recipe a choisi de chanter en anglais, même si, comme le souligne Frannie, ce n’était pas un choix à proprement parler. Les quatre membres ont si peu pensé à former un groupe, si peu planifié les événements des dernières années qu’on ne saurait véritablement parler d’une décision consciente. L’anglais s’est plutôt imposé de lui-même, explique la chanteuse. « Je pense qu’en français ça n’aurait pas aussi bien fonctionné » dit-elle, expliquant que chaque style musical appartient en quelque sorte à une langue. L’anglais « s’écoute différemment du français », souligne-t-elle, et il a « collé » tout naturellement à la musique qu’ils faisaient. Et puisque le mot d’ordre, chez Random Recipe, c’est le naturel avant tout, c’est donc dans la langue de Shakespeare qu’ils s’expriment aujourd’hui.
Cela dit, le groupe s’étonne de son succès auprès des francophones. Alors qu’ils s’attendaient à se constituer un public essentiellement anglophone, tout le contraire s’est produit.
C’est également vrai du côté des médias : Frannie ne compte plus les articles parus dans le Voir au sujet de la formation, alors qu’un seul est paru dans les pages du Hour.
Après avoir rencontré Le Délit, Frannie Holder a rejoint les autres membres de Random Recipe, question de préparer un stunt dans le métro qui aurait lieu le soir même. Le 14 septembre dernier, le groupe a investi un wagon de la ligne orange, direction Côte-Vertu, et a offert à quelques caméras et une poignée de fans un spectacle improvisé dans le « dernier métro ». Du grand Random Recipe.