Aller au contenu

Équiterre se prononce

Le complexe dossier des gaz de schiste fait encore tourner des têtes et hausser des sourcils. Le co-fondateur et coordonnateur d’Équiterre explique la position rendue publique la semaine dernière.

Le Délit (LD): Le rapport d’Équiterre éclaire certains aspects de l’enjeu des gaz de schiste. Il soulève aussi nombre de questions : Quelles quantités de gaz à effet de serre seraient émises par l’exploitation des gaz de schiste ? […] L’exploitation du gaz de schiste québécois est-il plus émetteur de CO2 que le gaz naturel conventionnel ? 

Steven Guilbault (SG): On ne peut rien affirmer à 100%, mais l’analyse de cycle de vie [un moyen pour évaluer les impacts environnementaux, NDLR] nous donnerait un ordre de grandeur. Le gouvernement devrait au moins se prêter à l’exercice pour qu’on ait une idée des tenants et des aboutissants du projet. En ce moment, pour certains enjeux, on nage en plein brouillard et ça ne rassure pas la population.

LD : Que pensez-vous de la réaction des autorités face aux inquiétudes des citoyens ? 

SG : Le gouvernement est allé un peu vite dans ce dossier-là. D’habitude, il y a un Bureau d’audience publique sur l’environnement (BAPE) avant de donner l’aval à un projet. Là, parce que les activités de gaz sont des activités d’exploration, la loi ne prévoit pas d’évaluation d’impact pour ce type d’activités. La ministre des ressources naturelles, Nathalie Normandeau, doit modifier la loi sur les mines, car cette activité industrielle est essentiellement régie par une loi complètement désuète –elle date du XIXe siècle et n’a pas subi de changement majeur depuis une centaine d’années. La loi permet à n’importe qui possédant une carte d’exploitation de forer et d’exproprier.

LD : Pourquoi passe-t-on au gaz de schiste tout à coup ? 

SG : Des enjeux économiques sont, entre autres, en jeu : on importe 1,5 milliard de dollars de pétrole de l’Alberta. Le gouvernement s’est dit qu’investir cet argent dans l’économie québécoise pourrait être intéressant. Cette idée n’est pas dénuée de bon sens, mais il n’y a pas d’études indépendantes qui s’y sont intéressées. Au contraire, ce qu’on charge en redevance pour les terres donne l’impression de vendre le Québec à rabais. Ici, c’est dix sous l’hectare contrairement à 1000$ en Colombie. Pourquoi ? Le gouvernement ne donne aucun détail.

LD : André Caillé, ex-PDG d’Hydro-Québec, président de l’Association pétrolière et gazière du Québec et conseiller de Junex, voit le moratoire comme la chute des investisseurs québécois propriétaires des terres. Qu’en pensez-vous ?

SG : M. Caillé n’a pas tort, le moratoire pourrait faire très mal à de petites compagnies québécoises comme Junex, alors qu’il n’affecterait pas du tout une grosse firme albertaine comme Talisman. Mais va-t-on vraiment potentiellement prendre des risques, bulldozer tout un pan de la société québécoise au nom de deux ou trois petites compagnies québécoises ?

LD : Est-ce que l’accès au gaz naturel et donc la disparition du spectre de pénurie de pétrole peut inciter les gens à consommer davantage ? 

SG : En effet, c’est l’une de nos préoccupations. Nous sommes l’une des économies les plus consommatrices du monde. Est ce que le gaz va s’ajouter à une société qui est déjà boulimique d’énergie ? Est-ce que le gaz va s’ajouter à cette consommation effrénée ou va-t-il remplacer des combustibles plus polluants ? Je ne sais pas si c’est une bonne idée environnementalement parlant, car nous n’avons toujours aucune donnée.

LD : Que doit-on retenir de ce débat ?

SG : La centrale du Suroît en 2003–2004 a été un grand débat. Ça nous a fait prendre un virage important, car on a fait avancer le dossier de l’énergie éolienne et celui de l’efficacité énergétique. Si on a réussi à faire avancer la société avec le Suroît, peut-être que le dossier du gaz va servir aussi.


Articles en lien