Des visages aux traits déformés, des corps nus qui s’exposent sans pudeur, des sujets étranges et énigmatiques. On entre dans le monde d’Otto Dix, un monde sombre mais coloré, « effroyable » mais « beau ». Un monde où la laideur est magnifiée.
Maître du portrait, le peintre allemand nous offre une vue sur les bas fonds de la société, sur la déchéance humaine élevée à des sommets de beauté. Il nous plonge dans un univers de tristesse et de pauvreté, de vieillesse et de disgrâce, où les scènes de bordel et de port ont une place de choix. Il choisit d’exposer un monde débridé, cultive le hideux comme d’autres le font du beau, et parvient, par cela même, à rendre la laideur infiniment belle. Sa maîtrise des couleurs et des reflets est remarquable, et ses traits, d’une infinie précision, sont irréprochables.
Rouge Cabaret s’attache à créer un lien constant entre la carrière artistique du maître et le contexte historique. C’est on ne peut plus pertinent lorsque l’on considère que l’artiste a connu deux guerres mondiales et a vécu en Allemagne sous le IIIe Reich. L’exposition s’ouvre d’ailleurs sur cinquante gravures de la Première guerre mondiale. Le peintre, pour qui « tout art est exorcisme », y présente l’horreur de la guerre dans toute sa terrible splendeur. Des corps mutilés, des champs de bataille ravagés, des maisons en ruines, rien n’est dissimulé. Dans les représentations guerrières de Dix, qui était lui-même soldat à l’époque, rien de noble, rien de glorieux.
Au fil de l’exposition, on explore les différentes phases qui ont marqué la carrière de l’artiste : la guerre, la période dada, les portraits de femmes, puis l’ère de la censure sous Hitler. Toujours, la trame historique reste bien présente, même si l’attention du visiteur est avant tout happée par l’étrange attrait des sujets choisis par l’artiste, qui ont tous des airs de bêtes de cirque, de clowns tristes. Ces corps et ces visages presque monstrueux et pourtant si humains fascinent, intriguent, dérangent. Certaines représentations flirtent avec le grotesque et le burlesque, d’autres sont carrément horribles. Plusieurs toiles s’imposent avec violence. Mais toujours, l’œil observe avec intérêt, ne peut se détacher du spectacle « effroyable et beau » imaginé par Dix.
Un portrait, particulièrement, attire l’attention : le Portrait de l’avocat Hugo Simons. Pas parce qu’il est plus réussi que les autres, quoique son exécution soit impeccable, mais parce que près de lui est placée une photographie du sujet. Le visiteur constate alors que la représentation de l’avocat n’est guère fidèle à la réalité. Tout au plus peut-on reconnaître quelques traits, un je-ne-sais-quoi de familier dans la lèvre inférieure C’est vers la fin de l’exposition que l’observateur est amené à comprendre que cette étrangeté et ce côté mystérieusement atypique des toiles ne viennent pas de leurs sujets, mais sont issus de l’imagination même du peintre. C’est là, assurément, que réside toute la grandeur de l’entreprise artistique d’Otto Dix.