Ah, Montréal ! Hameau urbain de paix par excellence. Ville où règne la joie de vivre et la désinvolture….C’est ce côté charmant de Montréal que la plupart d’entre nous connaissons. Montréal ne semble en aucun cas être le berceau de l’obscurantisme et de l’injustice, mais, pourtant, comme toute grande ville, Montréal est le théâtre d’événements choquants et parfois violents. C’est d’ailleurs pour cette raison que Le Délit a décidé de se pencher sur un phénomène qui est loin d’être hors normes dans notre ville : le profilage racial.
Le point de départ de cette enquête est l’affaire Villanueva. Cette histoire est devenue synonyme ou exemple de profilage racial. Mythe ou réalité ? Il n’est pas question ici de manichéisme. Les faits, reconnus par les médias montréalais, concernant les comportements déviants de la police de notre ville, seront questionnés et décortiqués, sans tomber dans les clichés.
Retour en arrière
Le 9 août 2008, Fredy Villanueva, est abattu par balles à l’âge de 18 ans. Cette tragédie fait le tour des médias montréalais, laissant la population de Montréal Nord dans la rage et le service de police de la ville de Montréal (SPVM) dans l’embarras. Le choc est si grand que tout le monde s’empresse de donner une version « officielle » pour ne pas que la situation s’envenime. Mais que s’est-il réellement passé ? Comment ces jeunes des quartiers au nord de la ville se sont-ils retrouvés dans le collimateur de la police ? La version des jeunes présents lors de l’événement est catégorique. Ce sont deux policiers, Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilote, qui étaient à l’origine du désastre et qui avaient attisé le feu. Il n’y avait pas de provocation, un simple jeu impliquant des mises en argent aurait poussé les policiers à réagir de manière excessive.
S’en suivirent les émeutes de Montréal Nord. La colère s’est emparée de la population, mais surtout des jeunes qui souvent se disent victimes d’une stigmatisation enrageante. Environ 500 policiers ont été déployés sur place, subissant des attaques de toutes parts. Les citoyens des environs ont pu entendre les coups de feu, voir à la télévision des voitures incendiées et des appartements lourdement endommagés. Le spectre de l’exclusion sociale a décidemment fait surface de manière brutale en laissant tout un quartier dans la tourmente et la population montréalaise devant un fait accompli mais énigmatique.
Tenter de comprendre
Ce dont on peut être témoin dans la rue, le métro ou dans d’autres lieux publics est un bon indicateur de la dynamique entre les jeunes et les policiers, mais l’expérience subjective doit être mise de côté lorsqu’il est question de profilage racial.
Selon Nicole Filion, coordonnatrice à la Ligue des Droits et Libertés, il faut se questionner et s’inquiéter des interventions policières. Sur l’affaire Villanueva, madame Filion parle d’«enquête contradictoire ». Le SPVM s’est assuré d’entreprendre l’enquête entourant les événements de Montréal Nord. Cela signifie qu’il y a eu un manque de transparence flagrant de la part de la police de Montréal. Filion ajoute que le contexte de cette tragédie a poussé la consultation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) sur le profilage racial et ses conséquences à mener une investigation indépendante, en 2009, allant servir de contrepoids aux démarches prises par le SPVM. On peut lire dans ce rapport que « des recherches portant sur les arrestations de jeunes par les agents du SPVM, confirment que les jeunes de race noire sont plus susceptibles d’être interpellés et arrêtés par un policier que les jeunes de race blanche ». L’origine ethnique joue donc un rôle prépondérant lors des contrôles policiers.
De plus, Nicole Filion a pris soin de spécifier que la police semblait participer à la détérioration des relations qu’ils entretiennent avec les jeunes des quartiers dits sensibles. En effet, selon elle, aux lendemains de la mort de Fredy Villanueva, le SPVM a mis en place une nouvelle équipe policière : le groupe ÉCLIPSE. Le mandat de cette nouvelle ramification du SPVM était d’intensifier les interventions en matière de criminalité sur l’île de Montréal. Des effectifs ont été évidemment déployés dans la zone rouge qu’est devenue Montréal Nord, et c’est justement ce qui a renforcé le clivage entre les jeunes et les policiers. En fait, le SPVM s’est clairement concentré sur le côté criminel des jeunes de quartiers défavorisés issus de l’immigration récente. Toujours selon Mme Filion, il s’agit de l’exemple parfait d’une rupture de confiance. Le fait qu’ils se sentent rejetés et non-protégés par le système de justice, pousse ces jeunes à se replier sur eux- mêmes dans une logique cinglante.
Ces informations semblent confirmer qu’il y a bel et bien de l’injustice dans l’air. Certes les enquêtes ne mentent pas (le dernier rapport interne du SPVM a été fustigé par les quotidiens La Presse et Le Devoir pour cause de « racisme pur et simple »), mais le problème semble être dépassé le niveau de la culture policière pour atteindre l’ensemble de la société. Les jeunes sont perçus comme des êtres perturbateurs. Lorsqu’ils font partie d’une minorité visible, la peur s’accentue et des stéréotypes, bien ficelés, commencent à influencer les faits concrets. Montréal est-elle en train de devenir un état policier ? Selon le CDPDJ, on ne serait pas loin d’un tel scénario, si aucune initiative n’est prise pour le bien de tous.
Un souci d’efficacité
Jean-Claude Icart, professeur associé en sociologie à l’UQAM, a affirmé au Délit qu’il est pressant que les services de police agissent rapidement et avec efficacité. Il explique « qu’il est nécessaire que le SPVM tisse des liens sacrés avec la population et surtout les jeunes. Après tout, la police est gardienne de la paix et de la sécurité, donc, a priori, son rôle est de veiller sur toute la population et non de semer la pagaille ». Professeur Icart mentionne d’ailleurs que le SPVM a fait d’énormes efforts en termes de rapprochement avec la population dans certaines zones prioritaires.
La tolérance semble être le nouveau mot d’ordre du SPVM. Le professeur Icart stipule que c’est loin d’être facile pour les policiers de tout gérer sans complications. Certains policiers fraîchement sortis de l’Académie de police n’ont pas grandi en milieu urbain. Ils ne sont donc pas familiers des réalités d’une grande ville comme celle de Montréal et n’ont pas été exposés à cette diversité culturelle. Ils se retrouvent parachutés dans un monde qui n’est pas forcément hostile, mais qui leur est étranger et cela peut expliquer la peur et l’incompréhension vis-à-vis des minorités ethniques. C’est un argument qui doit être pris en compte au niveau de l’analyse du problème. Cette méconnaissance de l’autre n’excuse néanmoins en rien les comportements abusifs de certains policiers à l’égard de certains jeunes d’origine étrangère. Le sociologue insiste donc sur l’importance du travail de la police avec la communauté, mais surtout celle des suivis lors d’enquêtes ou encore lors de création de nouveaux projets visant à réunir les policiers intervenant sur le terrain et les habitants de ces quartiers. Le but est de bâtir des ponts entre deux entités qui semblent être faites pour ne pas s’unir, mais qui peuvent, au contraire, se compléter. Un esprit de collaboration peut donner naissance à une symbiose entre la police et les jeunes, et toute une communauté.
S’attaquer aux vrais problèmes
Icart demeure toutefois réaliste et spécifie que ce qui mine aussi le SPVM, c’est son habitude à se concentrer sur des délits mineurs plutôt que d’attaquer le problème à la source. D’ailleurs, il dit qu’il y a abus du terme « gang de rue » , qu’on l’utilise parfois à tort pour justifier des interventions qui n’ont pas nécessairement de lien avec les groupuscules criminels. Dans ces cas-là, la police ne fonde par leurs arrestations sur un doute raisonnable, mais ils font du profilage racial. Comme l’illustre la cinéaste montréalaise Michka Saal, dans son film Zéro Tolérance, des jeunes témoignent du manque de tact de la part de la police qui venait les arrêter pour avoir occupé des bancs d’un parc situé dans le quartier Saint-Michel. Ces jeunes d’origine hispanique ont subi un contrôle policier qu’ils ont perçu comme étant méprisant et ont été obligés de déserter le parc où ils discutaient.
Pris dans le collimateur
Ces jeunes, souvent accusés de rejeter en bloc toute forme d’autorité, seraient victimes d’un système qui leur est injuste. La CDPDJ affirme ainsi qu’il y a « une absence de procédure d’enquête impartiale et objective à la suite d’un incident impliquant un policier ». Cela explique aussi le manque d’aboutissement dans l’enquête chargée de démystifier l’incident Villanueva. Le SPVM protège ses policiers coûte que coûte. Il faut aussi dire que si la police est dans la mire des médias depuis août 2008, le problème ne date pas d’hier. D’ailleurs, dans le film de Saal, tourné en 2004, on voit que le profilage racial est un fléau qui s’est propagé à travers le temps et que les manières de faire de la police restent inchangées malgré les nombreuses formations policières visant la familiarisation à la de diversité culturelle. Cela n’empêche en rien la continuité d’une certaine technique boiteuse en matière de jugement et d’arrestations. Michka Saal a donné la parole à de jeunes Noirs, Maghrébins et Latinos sur un sujet qui est tabou. Leur version semble sincère et ils semblent chercher une voix contre l’attitude belliqueuse des policiers qui jouissent d’un pouvoir sans équivoque.
Y‑a-t-il une lueur d’espoir ? Est-ce que le SPVM saura s’adapter aux mutations de notre société multiculturelle ? D’autre part, est-ce que les jeunes issus de l’immigration sauront trouver leur place dans un monde qu’ils décrivent souvent comme hostile ? Il semble que l’avenir n’est pas tout à fait gris. Selon professeur Icart, la police fait des efforts considérables et le prochain défi est l’établissement de stratégies de travail visant non seulement à donner des formations aux policiers, mais aussi à mettre en place des suivis et des évaluations du corps policier en entier. x