Les différents visages d’une identité sont mis en scène par le chorégraphe et interprète Stamos et sa compagne de longue date, Luciane Pinto, dans Cloak. La démarche se développe autour de l’image du lapin, d’abord suggérée par un texte que lit Stamos au début du spectacle. Puis, le duo jongle avec les diverses connotations et images conçues autour de cet animal. Notamment, l’enfance est traduite entre autres par une vidéo de Bugs Bunny. Pour l’âge adulte, Stamos et Pinto, vêtus d’un ensemble tout noir, portent des masques noirs sans yeux, avec des oreilles de lapin, et une poitrine démesurée.
Ce déguisement rappelle à la fois les mangas japonais et le lapin PlayBoy. Ils vont aussi se perdre dans un accoutrement de chasseur, personnage inséparable du lapin.
Les danseurs jouent avec leur personnalité réelle et ces personnages, autant qu’avec les attributs liés aux genres féminin et masculin. Le corps, lui aussi, est déconstruit grâce, entre autres, à l’usage d’un écran, sur lequel sont projetées des vidéos, et qui découpe les interprètes en deux, laissant seulement apparaître une danse des jambes. Les chorégraphies mettent en lumière l’expression du corps et en valeur la force performatrice des danseurs. De surcroît, l’affinité entre les deux interprètes est percutante et traduit une compréhension mutuelle et commune de l’œuvre.
La technologie détient un rôle clé dans le spectacle. On demande aux spectateurs à l’entrée de la salle de se faire prendre en photo. Ce qui est enfin projeté à l’écran sont des très courtes séquences vidéo, et lorsqu’on se voit ainsi objectivé et cadré à l’écran, l’image est étrangère ; on se voit à travers l’œil d’un autre. La voix est aussi retravaillée : déformation rythmique de la phrase, voix robotisées, et musique créée par des bruits vocaux enregistrés, puis joués en boucle. Tout ce travail réussi à multiplier les identités.
Cloak, qui signifie en anglais se masquer ou envelopper, résume bien la question et le travail de Stamos. Il traite des nombreuses couches qui composent l’identité à la fois comme des entités entières et autonomes, mais également interdépendantes et complémentaires. Par exemple, les immenses implants mammaires de ces lapins-ninjas sont formés par des ballons gonflables qu’on retrouvera en masse devant une Pinto assise sur le sol et soufflant des bulles de savons dans le fragment suivant.
Les idées associées tant à la pornographie ou aux jeux d’enfants s’entremêlent, et le passage de l’une vers l’autre n’est pas brutal. On prend peu à peu conscience que chaque élément est présent dans un autre. Chaque chorégraphie raconte donc une histoire, et l’ensemble des scènes exprime cette hybridité identitaire non comme un problème, mais plutôt comme une condition nécessaire, voire même saine à l’existence. Et c’est peut-être en cela que le spectacle réussit à se démarquer d’autres œuvres contemporaines, révélant la complexité de l’être sans tomber dans une lourde réflexion.
Cloak a été créé au Baryshnikov Arts Center en juin dernier. Originaire de Nouvelle Écosse, George Stamos accumule les expériences. Il est s’est accompli à Londres, New York, Toronto, Bruxelles et Amsterdam avant de se fixer à Montréal en 1998. Avec une vingtaine d’œuvres signées jusqu’à ce jour, il s’inscrit indubitablement comme un des artistes de la danse contemporaine à connaitre et à garder a l’œil.
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L’Agora de la danse fête ses vingt ans cette année. Voici les prochains spectacles proposés :
Tous les noms
20–21-22 octobre
C’est le retour de la chorégraphe et interprète catalane María Muñoz, dans la performance exigeante du solo.
Soupe du jour
3–4‑5–6 novembre
Le monde fantaisiste et l’esthétique débridée de Lina Cruz incarnés par cinq danseurs et un musicien.
It’s about time : 60 dances in 60 minutes
Michael Trent
11–12-13 novembre
La compagnie torontoise Dancemakers arrive à Montréal avec leur dernière création, It’s about time : 60 dances in 60 minutes. Entre précision absolue du chronomètre et perception individuelle, entre théâtre et performance, Michael Trent et ses cinq interprètes se penchent avec humour sur le paradoxe du temps. Tout au long de la pièce, plusieurs séquences débridées se succèdent, similaires et pourtant jamais pareilles.
Variations S
17 novembre
Cas Public, dont l’expérience auprès du jeune public est reconnue internationalement, présente son nouveau spectacle destiné aux 10 ans et plus. Hélène Blackburn et les sept danseurs de la compagnie proposent une relecture de la partition musicale du Sacre du Printemps.
Cabane
18–19-20 novembre
COMPAGNIE : Fortier Danse-Création
Paul-André Fortier, l’une des figures les plus inspirantes de la danse contemporaine au Québec, nous entraîne avec bonheur dans un univers absurde et décalé, en compagnie de l’artiste visuel, performeur, musicien et pour l’occasion danseur, Rober Racine. Au centre de l’espace se dresse une cabane faite de bric et de broc. Cet unique décor amovible et modulable se révèle être un monde en soi.