Kevin Annett, activiste basé à Vancouver, a travaillé pendant plus de dix ans à sensibiliser les Canadiens à la situation des pensionnats autochtones et à leurs répercussions sur cette population. Ancien animateur de l’émission de radio Hidden from History (diffusée sur le poste de Vancouver Coop Radio jusqu’en août dernier), mettant en lumière différents passages méconnus de l’histoire des autochtones, Annett se penche notamment sur « le génocide des peuples autochtones au Canada ».
Le 9 août 2010, Annett avait invité à son émission des personnes témoignant d’une présumée implication de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans le dossier du trafic et de la mort de femmes autochtones originaires de la Colombie-Britannique. Au même moment, un rapport interne de la police de Vancouver était publié, révélant que certains fonctionnaires n’auraient pas agi assez rapidement pour empêcher le meurtre en série de vingt femmes commis par Robert Pickton, un fermier de Port Coquitlam, en février 2002.
Ces meurtres démontrent la grande vulnérabilité des femmes autochtones et un problème en ce qui concerne leur protection et leur sécurité. Environ 500 femmes autochtones ont disparu, pour la plupart dans les provinces de l’Ouest.
Le Délit (LD): Pour quelles raisons avez-vous été congédié par la station Coop Radio le 9 août dernier ?
Kevin Annett (KA): J’ai animé l’émission Hidden for History pendant plus de neuf ans. Dans les derniers mois, je me suis principalement intéressé à la question des meurtres en série de Pickton. On a travaillé avec des groupes de femmes de l’Est de Vancouver, et plusieurs de nos témoins ont associé l’implication de deux policiers de la GRC avec la réalisation de films « Snuff » où des femmes autochtones sont violées, tuées, et vendues sur le marché noir. On m’a congédié et banni dix minutes après l’émission, m’informant qu’un incident était survenu le 20 juillet. Je n’ai jamais pu voir l’enregistrement vidéo de cet incident ; je n’ai toujours pas vu la preuve qu’on a retenue contre moi. On a également banni tous les animateurs qui ont contesté mon congédiement, et averti l’administrateur de la station et chacun des programmeurs de ne jamais m’inviter aux émissions.
LD : Pour quelles raisons croyez-vous avoir été banni de la station de radio ?
KA : Selon moi, il faut chercher du côté du gouvernement fédéral, d’où le financement de la station et l’émission des licences proviennent.
LD : Diriez-vous que votre congédiement est un exemple de censure ?
KA : Il s’agit définitivement de censure. C’est une illustration de la campagne qui est menée depuis plusieurs années qui a pour objectif de discréditer ceux qui essayent de montrer que ces meurtres se perpétuent. Même la couverture médiatique alternative est contrôlée par le gouvernement, en raison du financement octroyé par celui-ci. Je crois ainsi que les stations de radio devraient bénéficier d’un financement indépendant. On doit absolument militer pour la liberté d’expression vis-à-vis de ces abus.
LD : Pourquoi croyez-vous qu’il est important de nommer des criminels présumés ?
KA : L’absence de nom reconnaît l’existence d’un méfait, mais pas d’une personne responsable qui doit être jugée devant les tribunaux. Jusqu’à maintenant, les Canadiens ont gardé une distance par rapport à la problématique concernant le traitement des femmes autochtones, évitant ainsi tout l’horreur perpétué par les pensionnats autochtones. Jusqu’à maintenant, on y a compté quarante-trois crimes. On commence à voir le bout de l’iceberg, mais il en reste beaucoup sous l’eau.
LD : Pourquoi utilisez-vous le mot « génocide » pour décrire le traitement des peuples autochtones dans ces pensionnats ?
KA : La convention des Nations Unies, votée en 1948, défini comme génocide toute tentative de destruction d’un groupe, en partie ou en totalité. Tout ce qui s’est produit dans les pensionnats autochtones le témoignent : déportements d’enfants causant leur mort, la mise en place de programme de stérilisation pour empêcher la procréation, des agressions entraînant des blessures menaçant la vie à long terme. Il est donc légitime de qualifier cette situation de « génocide ».
LD : Vous planifiez la tenue d’un Tribunal international des crimes d’État et de l’Église en avril qui vise notamment à inculper le Pape et la Reine pour leur participation dans ce génocide autochtone.
Qu’espérez-vous accomplir ?
KA : On veut porter ce cas devant la Cour internationale de Justice qui considère l’intégralité de l’histoire canadienne et américaine, car d’autres tribunaux ont refusé de faire face à ce problème. On a notamment envoyé des assignations à comparaître au Pape, à six cardinaux et à la Reine. Ils doivent faire face à la justice pour des actions passées, et les abus qui sont encore perpétués, tel que l’abus des enfants qui prévaut dans l’Église catholique. Les effets des crimes récents des dix dernières années sont toujours ressentis. De plus, le Pape a récemment envoyé des lettres ordonnant le camouflage des abus sur les enfants. On veut porter ces gestes devant le tribunal en tant que crimes contre l’humanité.
Le 29 septembre dernier, le président de la Commission sur le témoignage et la réconciliation, Murray Sinclair, a affirmé devant le Sénat que plusieurs milliers d’enfants sont morts dans les pensionnats autochtones, et que certains de leurs parents ignorent toujours où ils sont enterrés. Maintenant que le gouvernement a admis ces décès, il reste à savoir si le gouvernement va admettre l’appellation de génocide.
LD : Le gouvernement canadien a‑t-il répondu à vos allégations ?
KA : Pendant plusieurs années, le gouvernement les a ignorées. Lorsqu’ils ont dû s’y pencher, ils les ont complètement reniées. Notre premier tribunal a été tenu en 1998, toutes les preuves ont été montrées au grand jour, mais le gouvernement n’a pas fléchi. Lorsque l’on a sorti le film Unrepentant [impénitent] en 2006, un député s’est levé et a demandé où était l’enfant disparu. La Commission sur le témoignage et la réconciliation a choisi de travailler sur la question de l’héritage de ces pensionnats. Tout ceci démontre le pouvoir des preuves et l’importance de faire pression pour faire connaître cette cause.
Propos traduits par Humera Jabir et Éléna Choquette.