Simple et brillante allégorie que cette nouvelle création d’Olivier Choinière. Présentée et coproduite par l’Espace Libre, elle souligne avec brio les dix ans de L’Activité, sa compagnie théâtrale qui ne fait rien comme tout le monde. Il y eut d’abord Agromorphobia, « du théâtre d’été urbain de série B » présenté en 2000 sur le toit du Théâtre d’Aujourd’hui, puis une « tragédie météorologique » intitulée Jocelyne est en dépression. S’en sont suivis une série de projets d’audioguides qui entrainaient le spectateur jusqu’au sommet du Mont-Royal, à la découverte de leur ville, dans le réseau souterrain de Montréal ou encore à la collection permanente du Musée des beaux-arts de Québec. La toute dernière pièce de l’Activité, ParadiXXX, mettait en scène un doublage de film pornographique. Qui pouvait donc s’étonner devant la prochaine œuvre de son directeur artistique ? Plusieurs appréhendaient une comédie musicale. Ce qu’on leur a servi était, encore une fois, bien fantasque et peu ordinaire.
Alors que la pièce commence, un rythme simple se fait entendre dans la salle. Aucun comédien sur scène, un synthétiseur pour tout élément de décor. De longs instants s’écoulent. Un ver d’oreille s’installe. C’est à partir de l’anticipation que tout se construit. Un homme assis parmi le public se lève et se dirige avec hésitation vers le synthétiseur. Il pianote timidement puis trouve une mélodie qui accompagne le rythme. Il incite une spectatrice retardataire à se joindre à lui, puis un livreur de pizza qui frappait à la porte du théâtre. La scène se remplit peu à peu d»inconnus qui improvisent leur contribution à la musique. Quelques uns s’aventurent à ajouter refrains et couplets. Une véritable chanson est créée, la même qui sera interprétée en chœur, à répétition, jusqu’à la fin de la pièce. Des choristes débarquent, puis quelques danseurs. Plus d’une cinquantaine de comédiens se retrouvent à exécuter une chorégraphie qui passera du spontané au très réglé. Une jam-session s’orchestre devant un public qui en redemande. C’est une véritable collectivité, voire une microsociété, qui se construit autour d’une chanson qui n’a pour refrain qu’un très simple « Je chante. Oui, je chante. Pour que tu chantes avec moi ».
Indéniablement comique, Chante avec moi d’Olivier Choinière évoque l’aspect hautement aliénant de ce qui nous rassemble, puis nous organise en société. Comme l’explique le dramaturge et metteur en scène, la chanson interprétée aurait pu se substituer à toute idée, utopie ou courant politique. Au côté tout à fait spontané et bon enfant de sa première interprétation succède une seconde, réglée au quart de tour par des personnages nerveux et affectés. La chorégraphie se répète, des corps tombent. Tout se renverse alors que le ver d’oreille a raison de toute réflexion.
La fable de Choinière, bien que caricaturale, évite un côté dangereusement moralisateur par l’humour et l’inventivité qui s’en dégage. Le charme du théâtre, son pouvoir de surprendre le public tout en le prenant à parti, s’opère à merveille pour servir un thème inépuisable et universel.
À la fin de la représentation, une partie du public reprenait la chanson. Était-ce par satisfaction ou autodérision ? Rien n’est moins sûr. Il est toutefois certain que Chante avec moi vaut la peine d’être vu. On pourrait même se surprendre à y retourner, ne serait-ce qu’à cause de ce vers d’oreille qui ne nous quittera pas de sitôt.