Je rêve d’un temps où la littérature soulevait les passions et semait encore la controverse. Je rêve de février 1857, où Gustave Flaubert et sa chère Madame Bovary étaient appelés au banc des accusés pour immoralité et obscénité. Je rêve également d’août 1857, quand Charles Baudelaire et ses Fleurs du mal faisaient l’objet d’un procès pour offense à la morale et aux bonnes mœurs. Et je rêve maintenant de 1957, où le gouvernement américain poursuivait l’éditeur du poème Howl d’Allen Ginsberg en justice, pour distribution de littérature obscène. Cet événement, indissociable de la vie, de l’œuvre et du succès du poète et membre fondateur de la Beat Generation, a récemment fait l’objet d’une fiction narrative hybride, Howl, poème cinématographique à la fois fascinant et ennuyeux des réalisateurs Rob Epstein et Jeffrey Friedman.
Le long métrage se veut d’emblée à l’image du poème : profond, léger, hallucinant et jazzé. Et résolument éclaté. Il comporte, à l’instar de l’œuvre source, quatre volets, quatre trames narratives entrelacées : la lecture publique incandescente du poème par son auteur (brillamment interprété par James Franco) au Six Gallery de San Francisco en 1955 (filmée en noir et blanc); l’entrevue de Ginsberg, réalisée dans le style documentaire, pendant laquelle il raconte sa vie et ses amours (avec Jack Kerouac, Neal Cassady et Peter Orlovski) et confie avec profondeur et désinvolture sa vision de l’écriture ; le procès pendant lequel les avocats interrogent des critiques et des professeurs de littérature anglaise sur la valeur littéraire du poème ; puis des séquences animées accompagnées de la voix de Ginsberg récitant son poème, véritable mise en image de Howl.
D’emblée, la performance poétique inspirée de Ginsberg, la musique jazz en arrière-plan et la légèreté de ton facilitent l’entrée du spectateur dans l’univers de l’auteur, et les confessions du poète au journaliste invisible contribuent à démystifier l’écrivain et à le rendre autant fascinant qu’attachant. Le parti pris peu subtil des réalisateurs, qui caricaturent tous les détracteurs de la poésie franche et libre du poète (notamment l’avocat de la couronne ignare et ridicule) et qui glorifient sans trop de nuances le poète et son œuvre (voir le public unanimement médusé du Six Gallery) irrite et crée un déséquilibre dans la fiction qui ne bénéficie alors plus des tensions internes qui auraient pu la dynamiser. Également, la juxtaposition et l’omniprésence des séquences de lecture publique et de séquences d’animation sur fond de voix récitante, si elles démontrent une volonté de rapprocher le poème du public, échouent dans leur entreprise en ne causant qu’une surdose de poésie.
Au final, le film s’avère un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté d’expression et de l’adoption d’une langue (littéraire) exprimant avec franchise l’esprit moderne et libre ; une ode, surtout, au poète Allen Ginsberg et à son œuvre, qui a su créer l’étincelle d’une révolution littéraire et ouvrir la voie aux autres écrivains de la Beat Generation.
Malgré ses quelques défauts, il n’en demeure pas moins que Howl (le film) réussit à nous rendre nostalgiques d’une époque où la littérature créait une onde de choc dans la société et contribuait encore au progrès politique et social. Une nostalgie qui nous fait rêver de nouvelles figures, des Flaubert, Baudelaire et Ginsberg de notre temps et de notre pays, dont le « hurlement » poétique fera avancer le nôtre.
Howl sera présenté en salle à compter du 5 novembre.