Michael Trent explique que la question du temps n’était pas le point de départ de It’s About Time : 60 Dances in 60 Minutes, mais plutôt « cette tendance [que nous avons] dans notre culture à trouver des réponses “tout blanc ou tout noir” pour des questions complexes ». De la simplification de la vie quotidienne résulte une « perte de la beauté dans ce qui est gris ». C’est alors que le chorégraphe aboutit à une création sur le temps, ce concept « que l’on partage tous, qu’on prend pour absolu et fixe, mais qui peut être très relatif ».
La scène au sol ressemble à un loft d’artistes : ouverture sur les coulisses au fond à droite, un tas de vêtements gît au centre, plusieurs paires de chaussures pour femme placées stratégiquement, quelques instruments de musique, de nombreuses chaises pliables sont posées contre le mur à gauche, enfin un revêtement blanc longe le devant de la scène.
Dans cet univers qui mime le décor réel de, peut-être, une salle de répétition, les danseurs accomplissent diverses tâches en dix minutes, puis deux, puis trente et encore dix minutes. Le tout est chronométré, et la danse prend des allures de course de relais.
Ils débutent sur le tapis blanc debout l’un à côté de l’autre. Les trois garçons comptent rigoureusement, yeux fermés ou mains sur les oreilles, alors qu’une des filles tient la seconde sans la laisser glisser sur le sol, avant que les garçons terminent de compter. Puis, ils jouent quelques notes, déplient et placent les chaises, enfilent et enlèvent des morceaux de vêtement, chatouillent un des leurs, transportent un contenant rempli d’eau ou récitent les étapes pour repasser une chemise. Chaque action doit d’abord s’achever en une minute ; ensuite, ils reproduisent les mêmes actions plus rapidement, et recommencent de nouveau, mais plus lentement.
Pour Michael Trent, la vitesse caractérise notre époque et « la rapidité à laquelle sont transmises les informations », nous empêche d’avoir un réel moment de réflexion. C’est avec distance que la réflexion se fait plus aisément, et seulement là nous pouvons être « face à comment [nous nous] sentons ». C’est cette dernière situation que le chorégraphe tente de créer pour le public.
It’s About Time est certainement une réflexion ludique sur le temps. Il est d’emblée difficile de prendre la prémisse au sérieux. D’une part, les danseurs annoncent dès le début ce qu’ils s’apprêtent à faire, le public devient donc témoin de projet récréatif (la chorégraphie est fragmentée et les segments de danse proprement dite sont mélangés au jeu); d’autre part, ils ponctuent de leurs rires les moments clés e la représentation. Rires authentiques ou forcés ? Difficile à déterminer. Les gestes répétés sont similaires, mais jamais identiques. On en vient à vouloir repérer chaque variation.
Le dramaturge Jacob Zimmer explique que l’un des défis de cette création est l’endurance : « the pressure to get it done, the endurance to take the time it takes ». It’s About Time se révèle alors être davantage une performance physique, quasi théâtrale : ils courent, ils marchent, ils sautent, ils s’assoient, ils tombent, ils soulèvent et se tiennent immobiles. Autant de jeux de patience tant pour les danseurs que les spectateurs. On en vient donc à se demander si It’s About Time est vraiment de la danse. La question semble pourtant légèrement vaine à notre époque où tout tend vers l’interdisciplinarité.
Il y a une « gamme de points de vue » sur la danse contemporaine, et le directeur artistique de Dancemakers, Michael Trent, a sa propre conception à laquelle il tient fermement. « D’abord le corps et sa présence doivent être dans une conversation avec le public », le sujet est lui-même une recherche et l’accomplissement se trouve « dans l’ouverture », dans le partage de l’expérience. Il est important ainsi pour le chorégraphe de rappeler au public qu’il assiste à une performance ancrée dans la réalité. « Je ne suis pas intéressé par cette idée du personnage, d’évoquer une période de temps qui n’est pas la nôtre ; l’actualité est très importante pour moi » affirme Michael Trent.
La musique qui accompagne la performance a également été pensée minutieusement. La musique de John Thorpe est conçue pour ne pas correspondre à la mesure. « I didn’t want to attempt to elucidate, neither to romanticize time’s mystery : time will always be confusing.» Ils ont ainsi demandé à plusieurs artistes de soumettre des enregistrements d’une minute (estimée et non mesurée) de divers sons.
Bien que l’équipe ait manifestement longtemps médité sur cette dernière création, elle s’apparente davantage à un happening. It’s About Time stimule ou ennuie, mais est certainement une heure de pure vide (sans connotation péjorative) dans laquelle on est convié à observer l’absurdité ludique de ces gestes et notre rapport au temps et à l’impossibilité d’expliquer ce qui se déroule sur scène.