Que ce soit en parlant de « locavores », d’agriculture urbaine, de toits verts ou d’écotourisme, ces dernières années auront vu l’apparition de tendances vertes se voulant autant d’exemples de pratiques dites écologiques. À l’ère du développement durable, on vous offre même un indice permettant de mesurer l’impact de votre mode de vie sur l’environnement : l’empreinte écologique. Cependant, qu’en est-il de l’eau, cette ressource dont le Québec dispose si fièrement ?
C’est la question que pose le Programme d’économie d’eau potable (PEEP) du Réseau Environnement avec son slogan « Vous êtes verts, mais êtes vous bleus ? ». Le programme introduit le concept de l’empreinte sur l’eau, c’est-à-dire la quantité d’eau nécessaire pour la production de biens, du champ ou de la forêt jusqu’à votre foyer. Au PEEP, le concept est utilisé « pour que les gens prennent conscience de la valeur de l’eau », explique Philippe Kouadio, directeur des opérations pour Réseau Environnement. On vous apprendra ainsi que la production d’un seul hamburger nécessite près de 2400 litres d’eau du champ à votre assiette, en passant par toutes les étapes de transformation et de transport.
Au mois d’octobre, le Forum québécois sur l’eau a offert plusieurs conférences abordant les enjeux de la gestion de l’eau au Québec en tant que ressource fragile, collective et économique. Comme l’ont fait remarquer plusieurs observateurs tels que René Vézina, animateur lors de l’événement, l’eau douce au Québec est « tellement abondante qu’on ne s’en est jamais vraiment occupé ». En revanche, la tenue du Forum suggère un changement dans les mentalités. En effet, les récentes prédictions sur les impacts des changements climatiques ont fait prendre conscience à une grande partie de la population de l’importance de ménager notre environnement.
Aperçu d’une ressource
Le Québec a la chance de posséder à lui seul près de 3% des réserves d’eau douce de surface de la planète. L’abondance de cette ressource, renouvelable de surcroît, pourrait sembler une raison suffisante pour reléguer l’importance d’en réduire notre consommation au second plan des préoccupations environnementales. Néanmoins, il est important de prendre conscience de l’éloignement des ressources d’eau douce, puisque seulement 10% de celles-ci sont situées à proximité des grands foyers de population, concentrés au Sud du Québec. Comme le rappelle M. Kouadio : « Environ la moitié de la population du Québec vit de l’eau du St-Laurent », ce qui constitue 40% de nos réserves d’eau douce. Les Québécois possèdent donc beaucoup d’eau douce, mais une majorité de celle-ci n’est pas vraiment à portée de main.
De plus, plusieurs de nos nappes phréatiques approchent déjà leur limite d’exploitation, c’est-à-dire que l’exploitation dépasse leur capacité à se renouveler. Il n’est pas nécessaire de chercher très loin pour se rappeler les pénuries d’eau ressenties dans plusieurs municipalités au cours de l’été 2009 qui, suite à une sécheresse, ont privé un certain nombre de citoyens de l’accès illimité à l’eau auquel ils étaient habitués. C’est pendant de telles périodes seulement que certains se refusent le droit de disposer d’autant d’eau potable qu’ils le souhaitent pour l’arrosage extérieur (et souvent abondant) de leur jardin, pelouse, piscine ou même entrée de garage. Bref, malgré les importantes réserves d’eau dont dispose le Québec, un survol de la situation permet de constater qu’abondant ne veut pas dire illimité.
La qualité de l’eau est un autre facteur important lorsqu’on parle de consommation d’eau. Encore une fois, M. Kouadio note que « plus nous consommons d’eau, plus nous en rejetons. Pourtant, après une première consommation, l’eau n’est plus de la même qualité. » En effet les eaux usées, malgré le traitement auquel elles seront soumises, contiendront toujours des contaminants au moment de leur sortie de l’usine tels que, par exemple, des perturbateurs endocriniens, soit des substances hormonales naturelles, ou artificielles (notamment la pilule contraceptive) provenant notamment des déjections humaines et qui peuvent négativement affecter le système hormonal d’autres organismes vivants. Ces contaminants auront des effets potentiellement dommageables sur le consommateur ainsi que sur les écosystèmes aquatiques qui les recevront. On note également un coût direct lié à la capacité de traitement de nos usines d’épuration des eaux usées, que ce soit pour agrandir les infrastructures existantes ou pour les approvisionner en produits de traitement.
Bref, il n’y a pas que la quantité d’eau douce disponible à considérer pour assurer son maintient en tant que ressource renouvelable, mais aussi sa qualité, qui sera grandement affectée par une utilisation plus abondante de cette ressource.
Maux de tête au compteur
À Montréal, comme dans plusieurs municipalités québécoises, beaucoup d’eau potable est perdue à cause de l’état des canalisations. Celles-ci, pouvant dater de plusieurs décennies, sont responsables de la perte d’un maximum de 40% de l’eau qu’elles véhiculent. Ce gaspillage entraîne non seulement une perte de la ressource, puisqu’une grande partie ne se rendra jamais à bon port, mais également un gaspillage des coûts de traitement d’une eau qui ne sera jamais consommée. Heureusement, pourrait-on dire, les municipalités québécoises, y compris Montréal, semblent avoir pris conscience du problème et travaillent à y remédier. Les nombreux travaux de l’été sur l’île l’auront souligné. Toutefois, un problème vieux de plus de cent ans ne se résout pas si rapidement et Montréal n’a pas fini de perdre de l’eau dans les dédales de ses réseaux d’aqueducs.
L’absence presque complète de compteurs d’eau sur l’île a également des répercussions importantes sur la consommation d’eau. Seuls les plus grands consommateurs d’eau du secteur industriel sont taxés en fonction de leur consommation d’eau réelle. Pour tous les autres consommateurs, un montant fixe est ajouté aux taxes municipales. Cela ne fournit donc aucun indicateur, et encore moins de motivation économique, pour réduire notre consommation. Depuis 2002, la ville s’est toutefois dotée d’un plan pour répondre à ces problèmes. La mesure de la consommation d’eau s’appliquera aux bâtiments industriels, commerciaux et institutionnels en instaurant des tarifs basés sur l’utilisation d’eau grâce à l’installation de compteurs. Malheureusement, ce sont les scandales de corruptions quant à l’octroi du contrat d’installation des compteurs qui ont rendu le projet célèbre plutôt que les effets bénéfiques qu’il pourrait avoir sur l’économie d’eau potable à Montréal. Depuis la crise, le contrat d’installation des compteurs d’eau a été suspendu pour l’examen du vérificateur général. Il ne faudra donc pas compter sur les compteurs d’eau pour réduire la consommation de la ville avant quelques années.
Réno sur le campus
La consommation d’eau à McGill évolue en relation étroite avec le contexte montréalais. Plusieurs auront d’ailleurs constaté les travaux qui ont eu lieu à l’angle de l’avenue Dr Penfield et de la rue McTavish depuis quelques mois, où des canalisations d’eau de la ville sont en réparation. Pour ceux qui ne seraient pas au courant, le terrain de football situé entre Dr Penfield et l’avenue des Pins abrite en fait un réservoir d’eau de la ville de Montréal. L’université est donc inévitablement liée de près à la gestion de l’eau potable de la ville.Toutefois, qu’en est-il de l’université elle-même ? Dennis Fortune, directeur du développement durable de McGill, affirme que « la réduction de la consommation d’eau est un principe prioritaire reconnu par l’université ». La politique de développement durable de McGill ayant été adoptée en mai dernier, M. Fortune et le Bureau du développement durable travaillent maintenant à la rendre « vivante ». En ce qui concerne l’eau, le processus est quelque peu complexe. La consommation d’eau n’étant pas mesurée, il n’est pas facile de définir des objectifs ou des indicateurs de la consommation sur le campus. De l’absence de compteurs découle une absence de motivation économique directe à réduire cette même consommation, puisque la ville ne facture pas de frais sur la base de la quantité d’eau consommée. Présentement, l’université en est donc au stade de « prise de conscience » de sa consommation d’eau afin d’en identifier les principaux problèmes ainsi que leurs solutions.
Pourtant, il peut sembler difficile de déceler une activité de l’université sur ce front. Selon M. Fortune, c’est parce que les mesures d’économies d’eau sont souvent des mesures « d’arrière-scène » dont la population mcgilloise n’a pas toujours conscience. Concrètement, les rénovations de l’édifice Otto Maass permettent d’illustrer l’effort discret, mais concret, de l’administration quant à l’économie d’eau. Les rénovations, de par les investissements de capitaux qu’ils suscitent, fournissent une excellente occasion de s’attaquer à la consommation d’eau. M. Fortune note que, parmi les dix objectifs de développement durable du projet, trois s’adressent directement à l’utilisation d’eau : diminuer la consommation d’eau, mesurer la consommation d’eau et éliminer l’utilisation d’eau potable comme refroidisseur, une mesure notamment utilisée dans les laboratoires. Les travaux en cours devraient donc permettre l’amélioration de la gestion de l’eau potable sur le campus.
Toujours selon M. Fortune, la prochaine étape concernant l’économie d’eau potable sur le campus devrait consister en une meilleure communication entre l’administration et les étudiants. Cela permettrait, en premier lieu, de faire connaître les initiatives de l’université à sa communauté de même que, en second lieu, d’encourager celle-ci à poser des gestes afin de contribuer à l’amélioration du bilan collectif. Car, si une partie de la responsabilité de la consommation d’eau repose sur l’état des infrastructures, une grande partie repose en effet sur l’utilisation quotidienne que la population fera de ces infrastructures.
Que devrait-on en conclure ? En s’interrogeant sur l’état de la consommation d’eau collective au Québec, force est de constater qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour en arriver à une consommation durable. Si la ville de Montréal tente lentement, mais sûrement, de pallier aux lacunes d’un système de canalisation vieux de plusieurs décennies, un gaspillage important continue chaque jour. L’Université McGill semble aussi s’inscrire dans une volonté d’intégrer la gestion de l’eau au sein des pratiques de développement durable en saisissant des opportunités telles que la rénovation des édifices pour diminuer la consommation d’eau sur le campus du centre-ville.
La mise en place d’initiatives au niveau de la gestion collective de l’eau sert toutefois à faire ressortir un aspect vital à la question de la consommation d’eau au Québec : l’importance de la consommation individuelle au quotidien. Comme a pris soin de le mentionner M. Fortune, une fois les infrastructures adaptées, c’est entre les mains de tout un chacun et de nos actions au quotidien que repose la possibilité d’un véritable changement. Le Québécois consomme en effet 401 litres d’eau en moyenne par jour, ce qui fait de lui un des plus grands consommateurs de la planète. Il ne faudrait donc pas oublier, comme nous l’indique le Programme d’économie d’eau potable, de penser bleu avant de se dire vert.