« Monde, Amérique du Nord, Mexique, Mexico D.F. […]» Les premiers instants de la pièce prouvent que l’œuvre du chilien Roberto Bolaño s’enracine dans un contexte bien précis : celui des révoltes étudiantes de 1968 dans un pays qui, s’apprêtant à accueillir les premiers jeux olympiques en Amérique Latine, souhaitait à tout prix les réprimer. Amuleto rend hommage à une génération dite sacrifiée, à la jeunesse idéaliste et aux artistes visionnaires des années 1970. Trois comédiens présentent en quelques phrases cette période tumultueuse de l’histoire du Mexique en déclamant. L’épisode dégage quelque chose de factice, de didactique et donne malheureusement le ton à l’ensemble de l’adaptation de Catherine Vidal.
Alors que l’armée mexicaine prend d’assaut l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM), professeurs et étudiants sont arrêtés, et tous sont forcés de quitter le campus. Tous sauf Auxilio La Couture (Dominique Quesnel), qui se trouvait à ce moment cachée dans les toilettes d’un des bâtiments. Elle y reste confinée pendant douze jours, le temps d’entraîner le spectateur dans son quotidien et son imaginaire, ponctués par ses rencontres avec trois jeunes poètes qui la considèrent à la fois comme muse et mère spirituelle.
Dans sa mise en scène, Catherine Vidal opte, à juste titre, pour le dépouillement. Aucun artifice ou accessoire inutile. Seulement quelques panneaux clairs qui encadrent l’espace et des effets d’éclairage rappelant l’esthétique surannée de l’époque. Les personnages èrent dans les rues de Mexico, revendiquent une poésie libre et affrontent toute forme de répression. L’attention est uniquement portée au texte de Bolaño, écrivain qui transpose dans son verbe les convictions et espoirs qu’il a lui-même défendus de son vivant. Pourtant, Amuleto n’a rien du périple poétique qu’il promet. Tout porte à croire que la finesse de l’œuvre se perd à la traduction, ne laissant place qu’à un texte édulcoré, soutenu par une contextualisation trop lourde. Les trois jeunes poètes ne sont que des caricatures, figures immatures et idéalistes sans aucune lucidité. Les comédiens qui les incarnent, Olivier Morin, Renaud Lacelle-Bourdon et Victor Andres Trelles Turgeon, ne semblent d’ailleurs pas croire en leur personnage, hésitant toujours entre l’exagération et le détachement. Dominique Quesnel, qui interprête Auxilio La Couture, est, quant à elle, plus convaincante, bien que son personnage manque de profondeur.
De la page aux planches, plusieurs maladresses, sans doute. Alors que le message politique et la fantaisie poétique priment, les scènes se succèdent sans vraiment être situées, encore moins comprises. La mise en scène elle-même revêt un caractère inachevé, décousu. L’adaptation du roman de Bolaño, en somme, ne saccorde ni à l’époque, ni au public auquel elle est présentée. Le Théâtre de Quat’sous, fidèle à sa louable vocation, a pris une fois de plus le parti de la nouveauté, de l’imaginatif et de l’inédit. L’entreprise comporte parfois des risques, et Amuleto en est malheureusement la preuve.