Le 16 novembre, le projet de loi C‑311, visant à assurer l’acquittement des responsabilités du Canada pour la prévention des changements climatiques dangereux, a été renversé par la majorité conservatrice au Sénat.
Genèse et parcours d’un projet
Ce projet de loi date de 2006 quand il a été introduit par Jack Layton, chef du Nouveau Parti Démocratique (NPD), comme projet de loi C‑377. Cependant, le projet de loi est mort au feuilleton quand la Chambre des communes fut dissoute en 2008 lors des élections fédérales. Le projet de loi a ensuite été réintroduit en février 2009 par Bruce Hyer, porte-parole adjoint en matière d’environnement (eaux et parcs nationaux) du NPD, appuyé par Jack Layton. Après une deuxième lecture en avril 2009, le parlement l’a envoyé pour révision au Comité sur l’environnement et le développement durable. Six mois plus tard, la Chambre des communes a voté pour que le comité puisse continuer à réviser le projet de loi, qui n’a donc eu aucun impact sur la position du Canada durant ses négociations à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Copenhague. Finalement, le projet de loi a été accepté en Chambre des communes en mai 2010 par un vote de 149 voix contre 136. Comme toute loi au Canada, ce n’était qu’une des nombreuses étapes. Le projet de loi est passé aux mains du Sénat le lendemain, où il aurait fallu qu’il soit adopté avant d’être soumis une dernière fois à la Chambre des communes pour le vote final et pour sanction royale par le Gouverneur général, avant de devenir une loi applicabe.
La saga du projet de loi C‑311 au Sénat
Le projet de loi a été discuté au Sénat quatre fois avant d’être rejeté mardi dernier. Retour sur les discussions. Une politique environnementale peut être bonne pour l’économie
La première fois que le projet de loi C‑311 a été introduit au Sénat, le sénateur libéral de l’Alberta Grant Mitchell a expliqué que ceci signifierait l’adoption d’un véritable plan par le gouvernement pour combattre les changements climatiques. Même si les objectifs du projet de loi semblaient ambitieux : une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990 et de 80% d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990, le premier objectif nLétait pas facultatif si le gouvernement avait adopté le projet de loi, suivi d’un plan. Le sénateur Mitchell a réitéré ce que le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) avait établi dans leur rapport en 2007 : qu’à 90% de certitude, les humains seraient la cause principale du changement climatique observé de nos jours. Finalement, le sénateur a soutenu qu’une bonne politique environnementale n’est pas néfaste pour l’industrie et l’économie, au contraire elle serait bénéfique. Au Royaume-Uni, dit-il, 550 000 emplois « verts » ont été créés par un gouvernement et une économie qui auront doublé leur objectif sous Kyoto d’ici 2012. De plus, la Banque TD, avec le Dr. Mark Jaccard, un scientifique spécialisé en environnement renommé de l’Université Simon Fraser, ont abouti à la conclusion que, si on maintenait le rythme actuel jusqu’en 2050, l’économie croîtra de 2,4%, mais que si on réduit le rythme du changement climatique pour les objectifs de 2020 la croissance sera seulement de 0,1% en deçà de 2,4%. Les sénateurs conservateurs ont maintenu qu’une politique comme celle-ci aurait des effets néfatses sur l’industrie pétrolière en Alberta.
Dilemme du prisonnier
Durant la deuxième discussion, le 8 juin 2010, le sénateur libéral d’Alberta Tommy Banks a expliqué les enjeux par une théorie des jeux. La première option serait d’agir sans que ce soit nécessaire. L’effet sera donc un gaspillage d’argent et la possibilité d’une crise économique. La deuxième option serait de ne pas agir, puis d’apprendre plus tard que c’était la bonne décision et qu’il n’a pas fallu agir. La troisième option est d’agir maintenant et de savoir plus tard que c’était la bonne décision. Il y aurait des coûts associés, mais ce serait de l’argent bien dépensé ; on souffrirait d’un désastre économique, mais on éviterait une possible catastrophe climatique. Finalement, la possibilité la plus sombre serait de ne rien faire, de continuer au même rythme, mais que les effets prévus par le GIEC soient tous véritables, que les niveaux des océans augmentent, qu’il y ait des guerres pour l’accès à l’eau potable, de la sécheresse extrême, une grande perte des forêts, des inondations, des famines, des ouragans, des bouleversements sociaux et un effondrement économique complet.
Si l’on décide de ne pas agir, c’est un pari que l’on peut gagner ou perdre. Par contre, si on agit, le pire qu’il puisse nous arriver, c’est de gaspiller de l’argent et d’avoir des problèmes économiques pendant quelque temps, ou bien réussir effectivement à éviter les dangereux changements climatiques. Cette génération et les générations à venir seront alors épargnées.
Que fait le gouvernement actuellement ?
Durant le troisième débat, le sénateur Mitchell remet en question le plan actuel du gouvernement Harper. D’après Marjory LeBreton, le Canada doit agir à l’unisson avec les États-Unis et appuyer l’accord de Copenhague : « Nous sommes engagés à réduire, d’ici 2020, les émissions [de gaz à effet de serre] du Canada de 17% sous les niveaux de 2005. » Le sénateur Mitchell a répliqué que « la seule chose vaguement environnementale de la liste de politiques annoncées est que le gouvernement continue à recycler ses politiques. »
Psychologie inversée
Durant la quatrième et dernière discussion, le sénateur libéral Robert W. Peterson a essayé une tactique de psychologie inversée. Il maintient que le projet de loi C‑311 n’est pas suffisant, même désuet, mais qu’il faut tout de même faire pression pour que le gouvernement Harper agisse.
Finalement, le projet de loi est venu au Sénat une dernière fois le 16 novembre. Les sénateurs libéraux ne souhaitaient pas qu’il soit reporté, mais ils ont perdu le vote face aux conservateurs. Plusieurs sénateurs libéraux étaient absents, et de nouveaux sénateurs conservateurs présents, nommés récemment au Sénat par le Premier ministre, donc quand le vote a lieu, la motion a été rejetée d’un vote de quarante-trois voix à trente-deux.
Faut-il réformer le Sénat ?
Il y a deux problèmes très importants en ce qui concerne le rejet de ce projet de loi, mis à part l’impact environnemental direct : les conservateurs ont subverti la démocratie, et il est très rare que le Sénat rejette un projet de loi. Le Sénat devrait seulement le faire lorsque les sénateurs pensent vraiment qu’il aura des effets néfastes sur la vie quotidienne des Canadiens. Ce projet de loi était si modeste, une première étape, qu’il est difficile de justifier son rejet. De plus, les sénateurs conservateurs ont été appelés à voter de cette manière par le Premier ministre.
Ceci dit, où étaient les sénateurs libéraux ? La politique au Canada est un jeu, comme le hockey. Si presque la moitié de l’équipe, soit dix-sept sur quarante-neuf des joueurs, ne se présente pas, il y a de très bonnes chances de perdre le match. Dans le contexte du Sénat, si dix-sept sénateurs libéraux ne se présentent pas lors de la discussion, il devient facile pour les conservateurs de rejeter un projet de loi. De plus, comment les Sénateurs peuvent-ils accomplir leur rôle de représentants de minorités, de régions et de provinces s’ils ne se présentent pas pour les discussions au Sénat, les résultats desquelles impactent forcément ceux qu’ils sont censés représenter ?
Les conservateurs ne voulaient pas que ce projet de loi, adopté de façon démocratique par la Chambre de communes, devienne loi : ils l’ont donc fait rejeter sans beaucoup de consultation. Toutefois, plusieurs sénateurs libéraux n’étaient même pas présents en séance au Sénat. Où étaient-ils ? Il faudrait peut-être avoir d’abord une discussion sur la responsabilité des sénateurs envers les Canadiens.