Au Centre commémoratif de l’Holocauste à Montréal, un objet en particulier attire l’attention des visiteurs : une carte de souhaits en forme de cœur, couverte d’un tissu mauve brodé d’un « F » au fil rouge.
Une journée de travail entière aurait été consacrée à la confection de ces quelques pages qui se déplient pour former quatre cœurs juxtaposés sur lesquels quinze jeunes filles âgées de moins de vingt-cinq ans ont signé des vœux d’anniversaire. Le 12 décembre 1944, ce minuscule cœur de papier fut offert en guise de cadeau d’anniversaire à Fania Feiner par ses collègues de travail, alors que toutes étaient contraintes aux travaux forcés à l’usine d’armement « l’Union », située au cœur même du camp de concentration d’Auschwitz. Leurs mots calligraphiés incitent la fêtée à garder courage, à croire en une liberté prochaine, à se souvenir d’elles et à reconnaître « que leur plus grande victoire sera la survie ».
L’objet intrigue le visiteur. Comment ses signataires ont-elles pu voler papier, crayons, ciseaux et tube de colle dans cet endroit où la mort les guettait constamment ? Comment ont-elles confectionné ce cadeau à l’insu de tous ? Comment Fania a‑t-elle pu le ramener de l’enfer, le garder sous son bras durant son séjour à Auschwitz et tout au long de l’interminable marche de la mort qu’ont fait subir les SS à bon nombre de déportés à l’approche de l’armée rouge, en 1945 ? Ce « cœur d’Auschwitz », symbole extraordinaire d’une foi inébranlable en la vie, est le sujet du documentaire de Carl Leblanc.
Ce réalisateur québécois a commencé par rencontrer Fania Feiner, aujourd’hui octogénaire. Toujours bouleversée par l’acte si généreux qui aurait pu coûter la vie à ses amies, elle déplore les avoir perdues de vue, et avoir oublié leurs visages et leurs noms. Fasciné par cette histoire et assurément investit d’un devoir de mémoire, le documentariste s’est chargé de retrouver les « filles du cœur », entreprise audacieuse qui l’a mené aux quatre coins du globe. Il s’est ainsi promené d’un centre d’archives à l’autre, cherchant à déchiffrer les signatures de chacune.
Le périple de Leblanc n’a pas été des plus faciles. Entre celles qui ne souhaitaient plus raconter même une seconde de leur séjour en enfer et celles qu’il n’a jamais retrouvées, sa recherche a pu sembler à plusieurs reprises aboutir à une fin infructueuse. Une survivante qui avait supervisé l’usine d’Auschwitz lui a même affirmé que ce cœur n’était qu’un coup de publicité ; elle était convaincue qu’il n’avait pas pu être fabriqué dans un camp de concentration, puis préservé. Pourtant, à l’aide de quelques femmes, Leblanc parvient finalement à retrouver quelques signataires, dont Lena, auteure du plus beau message de la carte, ainsi que Hanka qui avait eu l’idée de la confectionner. Les enfants d’une autre, décédée quelques années plutôt, verront en ce cœur le dévoilement de ce que leur mère avait toujours voulu leur cacher.
Au fil de l’enquête –car c’est véritablement ce que cette recherche devient– tout porte à croire qu’un tel cadeau est le résultat d’un acte de courage immense, le témoignage d’un espoir l’emportant sur la peur.
Documentaire réalisé en toute simplicité et avec peu de moyens, Le Cœur d’Auschwitz, dévoile l’histoire formidable d’un petit objet porteur d’une mémoire transmise aux enfants et petits-enfants des signataires, ainsi qu’aux visiteurs du musée auquel il a été confié. Si Theodor Adorno déclarait que faire de la poésie après Auschwitz était tout simplement impossible, le fait de retrouver celle qui s’est faite pendant l’horreur tient presque du miracle…