Alors que le campus est recouvert d’un manteau blanc, le calme de l’hiver n’est perturbé que par les sillons laissés dans la neige entre les bâtiments de l’université. Les bibliothèques sont pleines d’étudiants silencieux, plongés dans l’écran de leurs ordinateurs. Isolés entre leurs notes de cours et leurs livres, ils ont le regard concentré et ne lèvent les yeux qu’à l’occasion, par exemple pour observer le passage d’un autre étudiant à la recherche d’une place assise. Nous sommes en période d’examens finaux, mais ne vous laissez pas abuser par ce calme apparent. Il existe un murmure continu, un grondement virtuel reliant tous ces étudiants solitaires : Like A Little. Il s’agit du nouveau phénomène social à McGill.
Le site, qui se décrit lui-même comme une « dangereuse et excitante expérience de flirt anonyme », a fait son entrée à Montréal il y a un mois. Fondé à Stanford par Evan Reas, Likealittle.com s’est répandu dans de nombreuses universités américaines prestigieuses avant de percer au Canada (10% du trafic) et dans quelques autres pays. Les étudiants de premier cycle de dix-huit à vingt-quatre ans sont ceux qui fréquentent le plus le site. Avec une version typiquement mcgilloise du volet « missed connection » du site de petites annonces Craigslist, doublé du concept de Twitter, les coups de cœur peuvent être publiés anonymement sur un coup de tête (un message incluant la description de la personne et le lieu où elle se trouve).
Grâce aux horaires de la période des examens, le phénomène s’est accru à une vitesse exceptionnelle ; il ne passe pas cinq minutes sans qu’un nouveau message soit publié. Un jeu de séduction incessant, parfois subtil, souvent cru, se déroule sans interruption sous le regard silencieux des étudiants. Les différentes bibliothèques développent chacune leur réputation, ainsi McLennan (et particulièrement le cinquième étage) est le premier choix avec le plus grand nombre de publications, la Cyberthèque est le point chaud où les étudiants font preuve des pensées les plus osées et la cafétéria au sous-sol du bâtiment Redpath devient un point de rencontre concret.
Alors qu’une tension sexuelle émerge peu à peu entre ceux qui espèrent faire des rencontres, certains se voient plutôt effrayés et se sentent observés au moindre regard jeté dans leur direction. D’autres sont fascinés et suivent la moindre activité avec une curiosité morbide, pendant qu’une minorité y voit un outil social amusant. Il est tard, vous étudiez le même chapitre depuis deux heures et vous souhaitez faire une pause cigarette ? Pas de problème, lancez un appel et vous ne serez pas seul à affronter le froid ! Vous avez mal au crâne, mais vous n’avez pas d’aspirine ? Plus besoin de sortir en acheter, il y aura quelqu’un dans les environs pour vous en donner ! Un petit creux ? Rendez-vous thématique « Bring your own apple (BYOA)» au café !
La bibliothèque devient paradoxalement le nouveau lieu social pour échanger, pour épier et être vu, palliant ainsi à la solitude des révisions et offrant un peu de chaleur (virtuelle). Le phénomène se répand comme un feu sauvage ; en moins d’une semaine plus d’une quinzaine d’universités se sont ajoutées à la liste, dont l’Université Concordia, l’UQÀM et Polytechnique Montréal. L’activité y est cependant beaucoup plus réduite qu’à McGill qui se range dans le top 10. Beaucoup comparent Like A Little à Facebook à ses débuts pour son concept tendance, sa rapide popularité dans un espace vide de publicité. Le site est activement modéré et contrôlé pour empêcher les messages à caractère discriminatoire ou simplement offensifs, mais saura-t-il soutenir le facteur de nouveauté ? La plupart des utilisateurs ont encore du mal à se faire une opinion et ne savent s’ils doivent y voir une évolution positive ou une régression dans nos rapports humains. Le fondateur lui-même considère le site comme un fort réseau social plutôt qu’un simple site de rencontre : « People are actually connecting in the real world through our site through private messaging and other interesting features none of the others [sites] have ».
Si le site permet de faciliter le contact, l’approche réelle reste malgré tout difficile et n’efface pas la timidité ou le jugement social. Serons-nous seulement capable de donner une touche de poésie à tout ceci comme dans les vers de Baudelaire ?
« Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté Dont le regard m’a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! »