Le bilinguisme n’est plus qu’une formule de politesse. Voilà la triste révélation que j’ai eue après avoir assisté à NASH 73, la conférence annuelle de la Canadian University Press (CUP).
Plusieurs journaux étudiants à travers le Canada se sont donc donné rendez-vous de mercredi à dimanche à Montréal, à l’hôtel Hyatt Regency. Parmi près de quatre-vingt-dix journaux, quatorze journaux étudiants francophones font partie de cette association qui se veut coopérative. Seulement sept était présents à la conférence : Le Collectif (Université de Sherbrooke), L’Intérêt (HEC), Polyscope (Polytechnique), Quartier Libre (Université de Montréal), Le Réveil (Collège universitaire de St-Boniface), La Rotonde (Université d’Ottawa) et Le Délit.
En 2004, une proposition était passée pour que la CUP soit complètement bilingue d’ici 2014. Depuis, très peu −pour ne pas dire rien− n’a été fait. Ce n’est que depuis septembre que les quelques journaux francophones impliqués ont entamé un dialogue avec la Presse universitaire canadienne (PUC), et cette fin de semaine marquait la première réunion des journaux francophones pour définir la possibilité et les structures d’un avenir avec la PUC. Cette 73e conférence nationale de la CUP, familièrement nommée NASH 73, était bilingue pour la première fois. Enfin… un bilinguisme plutôt déficient, devrais-je dire.
Différents détails avaient déjà titillé mon âme francophone (des erreurs d’orthographe, un manque de cartons de vote pour certains journaux francophones lors de la semi-plénière), mais l’incident de vendredi soir était la goutte qui a fait déborder le vase. Des tweets lancés par plusieurs participants pendant la présentation de Josée Boileau dénigraient la rédactrice en chef du quotidien Le Devoir. Un faux compte Twitter a même été créé au nom du Devoir pour alimenter cette présentation aux allures de Lost in Translation.
Le Délit , secondé par The McGill Daily, a alors rédigé une proposition présentée à la plénière dimanche pour qu’il soit résolu que le personnel administratif de la CUP cesse de suivre le faux compte Twitter (maintenant effacé), qu’une utilisation respectueuse des médias sociaux soit insérée dans le prochain code de conduite de NASH et avec une attention particulière au #nash74, et que la CUP rédige une lettre d’excuses à Josée Boileau et au Devoir.
La première intervention au micro par un rédacteur du journal The Peak de l’Université Simon Fraser a été « It was fun. Calm down.» Un fossé s’était définitivement creusé entre la perception de l’événement et ce qu’on en attendait, et il n’était pas que spatial −les journaux francophones étaient assis d’un côté de la salle et les journaux anglophones, à l’autre extrême. Quelques personnes ont également confirmé qu’elles trouvaient que ces propos étaient irrespectueux et que cela projetait une aura de non professionnalisme et compromettait la réputation de la CUP. La proposition a heureusement été adoptée par un vote de 22 contre 16. Un certain nombre de journaux trouvaient donc tout de même qu’on en faisait trop et que cette résolution (vue comme une tentative de contrôle) d’adopter un certain jugement dans les tweets brimait la liberté d’expression.Il était non seulement triste de s’apercevoir que ces futurs journalistes ne voyaient pas ou refusaient de voir la différence entre une critique objective (nul ne leur reprochait de ne pas avoir aimé la présentation donnée par Josée Boileau) et un commentaire dénigrant impertinent, mais également de voir l’arrogance mal dissimulée de certains.
Le dialogue de sourds ne s’est pas arrêté là, au début de la discussion sur les frais d’adhésion à la CUP. Il faut expliquer que les journaux francophones ont été invités à se joindre à la CUP sans avoir à payer de frais, bien que considérés comme membres à part entière. Ceci est tout à fait acceptable et logique, puisque les services qu’offrait la CUP (un fil de presse, des ateliers et des conférences) étaient strictement en anglais. Toutefois, les journaux anglophones jugent depuis quelques années que les journaux francophones devraient à présent payer. Il faut rappeler ici qu’avant cet automne, les services n’existaient pas vraiment en français et que bon nombre de journaux ignoraient même l’existence de la CUP/PUC. Il a finalement été décidé en session plénière que les journaux francophones devraient désormais payer un quart des frais d’adhésion (selon leur budget), que ceux-ci seront réévalués chaque année et qu’une conférence nationale bilingue devra être tenue au minimum tous les quatre ans.
Ces deux propositions, surtout la dernière, sont aberrantes. Dans un premier temps, parce que la majorité des rédacteurs de journaux étudiants, sinon la totalité, ne gardent pas leur position aussi longtemps, et, de surcroît, parce qu‘un diplôme de premier cycle au Québec dure en moyenne trois ans. Une adhésion à la CUP serait alors plus un apport individuel pour ceux qui participeraient aux conférences qu’un investissement à long terme pour les journaux eux-mêmes.
Dans un deuxième temps, la tenue d’une conférence bilingue tous les quatre ans et d’une conférence régionale francophone chaque année à laquelle ne participeraient que les journaux francophones n’équilibreraient pas les frais que ces derniers devraient payer. Il coûterait bien moins cher à un journal de se retirer de la PUC et de permettre à des rédacteurs d’assister à d’autres activités telles les conférences organisées par la FPJQ (Fédération professionnelle des journalistes du Québec) ou de l’AJIQ (Association des journalistes indépendants du Québec). Avec l’argent économisé, les journaux étudiants francophones pourraient ainsi améliorer leur situation financière précaire, les publicités se faisant de plus en plus rares, inutile de le souligner. Les services judiciaires de fil de presse et de partenariats possibles sont intéressants, mais ne répondent pas aux besoins des journaux francophones.
Malgré le succès certain de cette première conférence nationale bilingue (d’excellents conférenciers y ont participé, des interprètes ont été embauchés et des bénévoles ont été mis à profit pour faire de la traduction chuchotée), les nombreuses traductions infidèles −notamment la traduction du titre « Bilingualism Plan » par « La Bilingualisme » alors que le bilinguisme était justement l’un des objectifs de cette conférence− et l’atmosphère générale des cinq journées de NASH73 m’ont déplu.
Enfin, la CUP a beau dire vouloir être bilingue, ce désir de bilinguisme s’est avéré être davantage dans un sens que dans l’autre. Les diverses réactions péjoratives, irrespectueuses et arrogantes de la part de certains anglophones, et non reprochées par la direction de la CUP, m’ont découragée et m’apparaissent symptomatiques du fossé qui nous sépare et de l’effort artificiel que font certains pour promouvoir et pratiquer le bilinguisme.
À quel prix et jusqu’où dois-je m’avancer sur le pont avant que les anglophones ne me tendent la main ?