Né en 1928 à Budapest, Gabor Szilasi se destine à des études de médecine qui sont interrompues lorsqu’il tente de fuir la Hongrie. Après cinq mois de prison, n’ayant plus le droit de poursuivre ses études, il trouve un travail dans la construction. C’est à cette époque qu’il achète son premier appareil, modèle Zorkij, et développe son goût pour la photographie.
Ses premiers sujets sont empreints d’innocence, il photographie ce qu’il voit et ce qui attire son regard : des amis et des scènes urbaines pittoresques. La révolution de 1956 lui fera changer de lentille. Ses photos se chargent d’une tonalité dramatique et prennent pour objet les foules évoluant dans un Budapest révolté entre les autodafés d’ouvrages communistes et les carcasses de tramways.
Avec la tombée du rideau de fer et la possibilité de fuir, Gabor Szilasi se retrouve par hasard au Québec avec son père en 1957. Il ne revient qu’en 1980. Un voyage chargé d’émotion où il retrouvera de vieux amis, d’anciens bâtiments où il a vécu mais surtout une ville transformée. Il s’approprie avec son appareil photo l’architecture éclectique de Pest, sur la rive gauche du Danube, un vestige du XIXe siècle intégré aux constructions modernes qui n’est pas sans rappeler Montréal.
C’est le hasard encore une fois qui l’amène à travailler à Montréal pour l’Office du film du Québec, d’abord comme technicien de chambre noire, puis comme photographe pour des reportages dans le Québec rural. Lui qui avait toujours vécu dans une grande ville, c’est la campagne qui le fascine.
C’est dans les années 1970 lorsqu’il se trouve dans le Charlevoix qu’il effectue son premier projet personnel avec un essai photographique sur la région. Il explore les petites communautés et découvre le paradoxe culturel de la société québécoise qui offre à la fois une continuité avec le passé et les traditions tout en développant des spécificités inattendues. Il dépeint remarquablement le mélange entre le moderne et l’ancien, le religieux et le profane en photographiant les agencements uniques qui peuplent le quotidien des gens qu’il rencontre : crucifix disposé avec une antenne de télévision ou photographies érotiques juxtaposées à des images religieuses dans une chambre, par exemple.
Montréal le fascine donc pour sa diversité. Aujourd’hui encore il s’émerveille de trouver au détour d’un coin de rue un style, une architecture, une communauté entièrement différente de celle qui l’entourait cent mètre auparavant. Il réalise une série de 150 photos, format 4×5 pouces, sur la rue Sainte-Catherine où il cherche à formaliser une représentation de la ville et illustrer de manière vivante l’évolution des foules, des voitures dans une rue en perpétuelle mutation.
Il essaie de saisir les goûts hétéroclites des constructeurs qui ont essayé d’introduire des éléments décoratifs dans l’architecture même des édifices commerciaux. Il prend aussi des panoramas d’espaces urbains plus larges, comme le chantier de construction de l’UQÀM, et des intersections de rues où l’on admire la justesse de son regard dans le choix de la composition de l’espace. Gabor Szilasi se dit être peu intéressé par l’esthétique, c’est ce que communique l’image qui importe et pour lui cela passe par l’organisation de l’espace.
On remarque que son travail se constitue essentiellement de photographies argentiques en noir et blanc. « La couleur n’a pas d’importance, confie-t-il, le noir et blanc fait ressortir les traits essentiels et possède une persistance que la couleur n’a pas ». Ce qu’il préfère ce sont les portraits. Le noir et blanc transpose un côté psychologique du visage alors que la couleur met en évidence les défauts de la peau qui ne sont pas inhérents à la personne. Il photographie spontanément le sujet sur un fond neutre, l’objectif à quelques centimètres de la personne, créant un malaise qui se dévoile dans le portrait. Les couleurs, lorsqu’utilisées, ont généralement un intérêt pour photographier une pièce, car elle traduit les goûts personnels et les différences sociales et culturelles.
Gabor Szilasi oscille entre une démarche documentariste et artistique. Quand on lui pose la question, il répond qu’il est préoccupé par le changement. Lors de la capture d’une photo, il s’agit d’un 125e de seconde unique qui déjà fait partie du passé. La photo Motocycliste au lac Balaton, si elle avait été prise une seconde après, n’aurait certainement pas eu le même effet de mouvement et les sujets auraient probablement été hors-cadre. Cette spontanéité définit Gabor Szilasi avant tout comme un promeneur, prenant les choses au hasard de ce qu’il voit et guidé uniquement par sa sensibilité.