Avoir des opinions en matière de politique ou de culture est assez mal vu dans notre charmant pays. Parce que chez nous, on a beau ne pas toujours être poli, on sait quand même se tenir tranquille. À quoi bon essayer d’avoir raison ? En plus de contrarier les gens, ce n’est pas très gentil : nous, c’est connu, nous sommes sympathiques et accueillants. Alors si on commence à se taper dessus sur de bêtes questions de loi 101.
D’autant plus que si personne dans la salle n’a le droit de vote à l’Assemblée nationale, qu’est-ce que ça change, vraiment ? Voter moins d’une fois par an pour s’impliquer dans trois paliers de gouvernement, voilà qui « fait la job », comme on dit. Il y a donc un petit manque de pratique, qui fait confondre à certains directeurs de programmation — autrement très respectables — la démagogie puérile d’un P. Lagacé avec un point de vue d’intérêt. La critique de la chose publique ou sociale nous paraît, du moins telle est ma modeste impression, assez compliquée.
Si on en croit Ça va aller de Catherine Mavrikakis (publié en 2003 chez Leméac), il y a dans le roman québécois deux factions, et la grande gagnante serait celle des héritiers de R. Ducharme et de leurs personnages infantiles. Un roman pamphlétaire qui a le mérite de mordre autant qu’il jappe. Et on peut se prendre au jeu de la démonstration. Exemple : La petite fille qui aimait trop les allumettes, de Gaétan Soucy. Écrit au « je », le roman maintes fois primé raconte la déroute de la narratrice et de son frère depuis le matin où ils ont découvert la mort de leur père. Du mystérieux « Juste Châtiment » — une sœur jumelle, grande brûlée, enfermée dans un hangar — aux exercices du père — de la torture ayant trait au masochisme le plus pur — on ne comprend l’horreur qu’au fil du roman. Coupés du reste du monde, le domaine et les diktats du père sont les seules références que les deux enfants semblent avoir jamais eues. Sauf bien sûr pour les livres, que seule la narratrice s’attarde à consulter. Le langage est sauvage, la naïveté, feinte.
Vu d’ici tout est petit de Nicolas Chalifour (publié en 2009 chez Héliotrope) est aussi le fruit d’un narrateur ambigu, une petite bête à la longévité fantastique, qui observe — sans être vu — le Manoir, désormais converti en une auberge de campagne. Entre son désir pour la femme de chambre, son alcoolisme et ses lectures, le narrateur nous fait le récit des intrigues de l’hôtel dans un français bien personnel, et dont la naïveté permet parfois de formuler des conclusions inattendues.
Deux excellents romans, qui disent la douleur de l’isolement et le regard qu’il permet d’avoir sur le monde. Et peut-être aussi, un peu, le sentiment d’être loin du monde réel, trop loin pour vraiment y avoir prise.