Mercredi dernier, le magazine Urbania lançait son 29e numéro et célébrait cette parution en grand au club Lamouche, avec les gros.
Fondé à Montréal en 2003, Urbania publie quatre numéros par année, chacun consacré à un thème précis. Cette fois-ci, ils ont voulu explorer le monde des grosses personnes, le plus gros « tabou » (surutilisé) selon François Avard, le rédacteur en chef invité du dernier numéro.
Mais un spécial gros, ça mange quoi ? Allaient-ils nous ressasser les mêmes discours ? Que les gros ont droit, eux aussi, à l’amour ? Que l’obésité est plus qu’un trouble physique, que c’est mental ? Oui. Mais quelques autres articles ont tout de même trouvé un bon angle d’attaque.Le journaliste Frédéric Guindon et le photographe Raphaël Ouellet ont suivi pendant une journée l’Unité de soutien technique (UST) d’Urgences-Santé. L’UST assiste notamment les ambulanciers lorsqu’ils traitent leurs patients « bariatriques » (une branche de la médecine qui s’occupe de la santé des personnes obèses). Le texte et les photos parviennent à rendre le malaise que peuvent ressentir ces personnes et l’aide qui leur est fournie, tout comme l’humanité de ces travailleurs de la santé.
D’autres ont voulu donner le micro à des gens plus discrets : Patrick Charrette-Dionne et Luc Robitaille se sont penchés sur la communauté discrète des Bears, ces homosexuels « en chair, poilu[s], massif[s] et masculin[s], qui accepte[nt] [leur] corps» ; Émilie Folie-Boivin et Dominique Lafond ont suivi Marie-Claude Dupont, 351 livres, le temps d’une journée, à son travail au centre d’appel de Bell, à l’épicerie et au Carrefour Angrignon, où elle allait magasiner. Un morceau de vie réaliste, poignant sans être pathétique, ni vouloir faire sortir les mouchoirs.
Catherine Perreault-Lessard, rédactrice en chef d’Urbania, a, quant à elle, exposé au grand jour la sous-culture des couples BBW (Big Beautiful Women) et FA (Fat Admirer).
Du symbole de fécondité à la bedaine de bière, Urbania rend compte de l’univers des gros, mais reprend et renforce néanmoins certains clichés et idées préconçues ; comme quoi, personne n’est à l’abri ! Par exemple, on a demandé à cinq actrices (Bénédicte Décary, Catherine de Léan, Crystal Miller, Caroline Néron et Julie Perreault) ce qu’elles pensaient « des critères de poids » dans leur métier et si c’était différent selon le sexe. Question à laquelle elles ont répondu de façon unanime en disant que, pour les femmes, c’est tout de même bien difficile, et que la pression pour être mince est omniprésente. Il aurait été intéressant ici de donner le micro aux comédiens, pour savoir s’ils trouvaient, eux, difficile d’avoir le physique de l’emploi ; ou encore d’interviewer un rikishi, pour connaître ce qui le pousse à devenir athlète sumo lorsqu’on connaît tous les problèmes de santé qui y sont liés, ou bien, de discuter avec des minces qui se trouvent gros, parce que, comme c’est écrit sur certaines pages, l’obésité est d’abord un trouble mental.
De nombreuses pages sont plus ludiques qu’informatives. On en apprend tout de même un peu sur le métier d’hypnothérapeute, avec Claude Lavoie qui travaille « à redonner à la nourriture son rôle premier, soit celui de nourrir le corps et non la psyché », sur l’impact de l’obésité sur l’économie et l’environnement, et que la gourmandise, ce vice vital, trouve une raison physiologique, le gras augmentant la sécrétion de dopamine.La couverture du magazine, sans aucun doute une des meilleures, copie la séquence populaire du « PFK kid » (avec Antoine Bertrand) du film Pea Soup de Pierre Falardeau et Julien Poulin. Un des derniers articles tente ainsi de retrouver Tit-Paul, le « p’tit gros qui se goinfrait de poulet frit » qui avait fait fureur sur YouTube, pour savoir, entre autres, s’il était devenu chauffeur de camion.
Malgré quelques articles qui laissent le lecteur sur sa faim, ce spécial Gros d’Urbania est alléchant.
Cependant, comme souvent avec la gastronomie, commencez par (les articles de) la fin, car elle est bien meilleure.