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Pour nos quatorze reines

Le 6 décembre 1989, quatorze femmes sont mortes sous les balles d’un fou qui en voulait au monde entier. Le 24 août 1992, quatre collègues de Valery Fabrikant furent criblés de balles, et le 13 septembre 2006, Anastasia De Sousa perdit la vie sous le feu de Kimveer Gill.

Lors de chaque tuerie scolaire, l’indignation mondiale suivit. Comment rester indifférent au côté sombre de l’être humain lorsqu’il se déchaîne ainsi ?

Nous étions tous pour la plupart encore un « projet », ou bien trop jeunes pour savoir ce qui s’est passé à la Polytechnique et à l’Université Concordia. Par contre, lorsque les événements de Dawson sont survenus, nous avons réalisé que nous étions particulièrement affectés parce que nous étions étudiants. Après tout, l’école devrait être un milieu dédié à l’éducation, où la possibilité d’y mourir d’une agression est nulle.

Qu’avons-nous dit après le choc initial des fusillades ? Qu’il fallait être vigilant. Les tireurs laissent des signes derrière eux avant de passer à l’acte. Pour un établissement scolaire, il est impossible de surveiller tous les étudiants et tous les employés. Il faut donc faire appel à la vigilance populaire pour remarquer et dénoncer les comportements louches et les excès inquiétants. Si les messages que Kimveer Gill avait laissés sur Internet avaient été lus avant, Anastasia de Sousa serait peut-être encore en vie.

Récemment, à McGill, des étudiants sont tombés sur les tweets violents et haineux d’un de leurs confrères. Celui-ci avait assisté à la représentation d’Indoctrinate U, un documentaire amateur sur le politiquement correct sur les campus universitaires. Le contenu du documentaire portait à controverse, mais n’incitait certainement pas à la menace de mort. Réfléchir ainsi est oublier que certaines personnes ont l’épiderme sensible.

Comment réagiriez-vous si vous lisiez sur un profil Twitter que son auteur aurait voulu apporter un M16 et tirer sur tout le monde dans la salle où il se trouve ? Ou qu’il veut désintégrer le consortium WASP-Juifs ? Ou, finalement, qu’il considère que la race blanche est, a été et sera toujours la plus grande menace pour l’humanité ? Vous seriez sûrement alarmé et vous avertiriez la direction pour qu’elle prenne des mesures disciplinaires. En toute logique, si vous étiez le responsable de tels dossiers, vous vous assureriez que l’élève en question subisse des mesures correctionnelles.

Toutefois, à McGill, les choses ne fonctionnent pas ainsi. Marc Lépine, Valery Fabrikant et Kimveer Gill semblent n’avoir jamais existé. Peut-être sont-ils les méchants d’une quelconque bande dessinée. Dix-neuf morts, ce n’est pas assez. Non, des menaces de mort, ça ne compte pas. Ce n’est pas suffisant pour punir le responsable. On dit souvent que nous sommes condamnés à répéter les erreurs du passé. McGill semble se jeter dans l’erreur à bras ouverts.

Peut-être faudra-t-il répéter les noms de Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widajewicz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, Michael Hogben, Jaan Saber, Phoivos Ziogas, Matthew Douglas et Anastasia De Sousa pour rappeler à notre chère université qu’on ne rigole pas avec la vie de ses étudiants ? Pour lui rappeler que si ces personnes sont mortes, c’est pour qu’on cesse de fermer les yeux et de croire que ça n’arrive qu’aux autres. Elles sont mortes pour que nous portions attention aux autres, pour prévoir quand l’irréparable pourrait être commis.

Pendant trois jours, un étudiant a tenu des propos violents, haineux et racistes en public. Avant qu’une personne de plus ne vienne s’ajouter à l’horrible bilan que les institutions scolaires montréalaises ont à porter sur leurs épaules, les personnes concernées devraient peut-être penser à aller faire un tour à la place du 6‑décembre-1989 et se dire que ça ne devait plus jamais arriver.

Un moment de recueillement devant La nef pour quatorze reines recalibrera certainement leur boussole morale, parce qu’en ce moment, celle-ci ne les mène nulle part.


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