Peaux brunes entassées dans les goulags d’Amérique, stockées dans les ghettos du Nouveau Monde… nature étouffée sous un dépotoir de préfabriqués… l’essence d’un peuple exhalée en bouffées de contrebande… souvenirs ancestraux brouillés par la bagosse bon marché… une race noyée sous le déluge civilisateur… nage ou coule, l’ami… car les temps changent… les temps changent…
Ancêtres nomades, ancêtres de chasse, ancêtres de cuir et de champs labourés… la survie comme seule ambition, l’amour de la terre comme seule religion… puis les grandes nefs surgies de l’horizon, les cales chargées du fardeau de l’homme blanc… une boîte de Pandore laissée en offrande… chapelets, patenôtres et croix érigées, force vitale aspirée dans les méandres de la chrétienté… armes blanches et alcool frelaté, promesses ensauvagées d’un monde civilisé… la survie offerte en cadeau empoisonné… que reste-t-il à espérer ? Il faut trouver, car les temps changent… les temps changent…
Explorateurs, pionniers, patriotes et fermiers… les voiles gonflées de promesses de liberté… les traversées qui s’achèvent sur les obsèques des morts scorbutiques… les premiers hivers craints comme le jour du jugement dernier… le corps et l’âme plantés dans la terre, les hectares défrichés à force d’homme… les sillons houés jusqu’à l’horizon, abreuvés du sang pur des familles unifiées… le deuil de ce père mort d’avoir fait vivre les siens… les efforts d’une vie balayés par le blizzard corrosif… la vigueur des aïeux dissipée dans l’air du temps… décidément, les temps changent…
Et qu’en est-il d’aujourd’hui ? Le repos amorphe au lendemain des misères d’antan, les houes troquées contre des bâtons de vieillesse, les armes rangées sous clé dans les placards du passé, les sillons fertiles ensevelis sous des fleuves de bitume, la pyramide des âges écroulée sur une jeunesse qui suffoque, la citadelle des villagismes reléguée au profit d’une vaste ruche disparate, la perte de repères et les suicidés, les frontières assiégées… Eh, quoi ! Des cohortes étrangères feraient la loi dans nos foyers ? Ah ! les temps changent, vraiment, les temps changent !
Raphaël Dallaire Ferland