Cher Alexandre,
Hier soir, mon petit-fils m’a rendu visite. Il y a longtemps que je l’ai vu. Il semble qu’il vienne me voir seulement quand il veut quelque chose. Quelle surprise ! Il m’a demandé de l’argent ! Avec tout ce que je lui ai déjà donné, et tout ce que ses parents lui ont déjà fourni, il se plaint de n’avoir pas assez d’argent ! Un vrai gamin pourri ! Il a quitté l’école à 17 ans. Il y a quelques années déjà qu’il « cherche » un emploi, mais il est évident que personne ne veut l’embaucher car il n’a même pas fini ses études au cégep.
Je ne comprends pas la façon dont il pense. Ma famille lui a inculqué des valeurs traditionnelles telles que l’importance de l’éducation, l’éthique du travail, la fidélité à la famille, la dévotion à Dieu et la conscience morale. Il n’est ni réceptif ni compréhensif. Il n’a aucun but dans la vie. Je vois qu’il gaspille son temps et, bientôt, il gâchera sa vie. Je pense que ce sont ses copains qui l’influencent et l’amènent sur le mauvais chemin. J’ai peur pour lui.
Quand j’avais son âge, j’arrivais de Varsovie à Montréal. Je n’avais rien, seulement cinquante dollars dans ma poche et ma femme, qui dépendait de moi. Je ne dépendais de personne pour gagner ma vie. Il y a 60 ans que j’ai fondé « Lester’s Deli » à Outremont, de mes propres mains. À l’âge de vinght-cinq ans, j’avais déjà connu le succès : j’avais créé une expérience culinaire authentique et Lester’s Deli était devenu une destination reconnue. Pendant la fin de semaine, Lester’s était inondé de clients loyaux. Sais-tu l’ironie de cette situation-là ? C’est que mes clients –qui sont à l’extérieur de ma famille– se font probablement du souci pour moi plus que mon propre petit-fils.
Les jeunes d’aujourd’hui, quel dommage, ils ne connaissent pas la signification de la responsabilité envers la famille. Tout ce qu’ils veulent c’est faire la fête. En fait, je les entends maintenant flânant sur la rue Sherbrooke et vendant de la drogue, criant des mots profanes et vandalisant des bâtiments, et ayant perpétuellement des avortements après des nuits de rapports sexuels. Il me semble que mon cœur va se briser : mon petit-fils n’est pas du tout différent de ces hooligans. Je ne sais combien de fois j’ai essayé de le convaincre de venir avec moi à la synagogue afin de le mener sur un chemin vertueux, mais il me le refusait chaque fois. Il a toujours quelque chose de « mieux » à faire. Cette fois-ci, il m’a frappé quand j’ai refusé de lui donner de l’argent ! C’est la fin. Cette nouvelle génération sans valeurs, sans morale, sans direction va tuer Montréal. Notre culture, notre religion, nos coutumes et nos traditions cesseront d’exister et je ne veux pas vivre pour le faire témoigner.
Alors, qu’est-ce que je peux faire maintenant ? Rien. Je suis âgé et je suis fatigué. Chaque jour, je me trouve coincé dans cette maison de l’âge d’or. Même si j’ai beaucoup d’argent, cela ne vaut pas la peine de l’investir dans ce jeune délinquant. Ma seule option est de ne rien lui donner –et d’avoir l’espoir qu’il verra la lumière. Je vous écris, mon cher avocat compétent, parce que je voudrais changer mon testament. S’il vous plaît, laissez tout mon argent à une œuvre de charité, pour les jeunes défavorisés de Montréal qui veulent vraiment faire face à la vie par eux-mêmes. C’est alors seulement que mon petit-fils se rendra compte de la valeur du dur labeur et de la tradition.
Cordialement,
Lester Rosenfeld
Leanne Ma, Malavika Subramanian, Annaliese Behrens et Benjamen Lerner