Dans la pluie de polars génériques qui s’abat sur nos librairies de saison en saison, il y a de ces trésors qui sortent du lot de par leur originalité et la profondeur de la réflexion qu’ils suscitent. Parmi ceux-ci, il y a Le Sang des Prairies, un roman policier à saveur historique signé par l’auteur québécois Jacques Côté.
Cet ouvrage constitue le second tome de la série « Les Cahiers noirs de l’aliéniste », série amorcée en 2010 avec le roman Dans le Quartier des agités, ouvrage qui a valu à son auteur un troisième prix Arthur-Ellis du meilleur roman policier canadien en carrière. La barre est donc haute pour le second « Cahier », mais c’est un défi que Côté relève avec brio en nous livrant un polar fascinant et fort marquant. L’auteur nous transporte en 1885, en plein cœur d’une révolte impliquant des communautés cries inspirées par le controversé leader métis Louis Riel. On y suit les pas de Georges Villeneuve, jeune capitaine lettré et empathique, qui, avec ses collègues du 65e bataillon de Montréal, doit aller investiguer le violent massacre qui a secoué le village de Lac-à-la-Grenouille, en Alberta. Après deux pénibles mois de voyagement dans un climat hostile, Villeneuve doit entendre le témoignage de François Lépine, seul survivant du carnage durant lequel ont péri de nombreux colons français et un métis.Le troublant témoignage de l’interprète métis ne donne qu’un aperçu de l’horrible spectacle qui attend les soldats à Lac-à-la-Grenouille. Mais ce n’est pas tout. Si l’horreur des détails de la tuerie choque profondément Villeneuve et ses collègues, ces derniers sont d’autant plus choqués de découvrir que le massacre est en réalité le produit des politiques injustes du gouvernement canadien, politiques qui ont fait subir aux communautés autochtones humiliation et famine.
Dès le début du roman, le témoignage de Lépine est placé en parallèle avec l’histoire principale, de manière à sensibiliser le lecteur à la cause métisse et amérindienne et à le faire s’identifier d’avantage à la progression du raisonnement de Villeneuve. Chez le lecteur québécois francophone de souche, cette identification se trouve amplifiée par le fait que les révoltes amérindiennes et le sort que fait subir Ottawa à ce peuple est plus d’une fois comparé au soulèvement des Patriotes de 1837–38 : la révolte des métis est aussi la sienne. Toutefois, comme Villeneuve, il se retrouve aussi partagé entre le désir de prendre parti pour ses frères de l’Ouest, ces métis qui sont aussi des canadiens francophones et catholiques, et celui de voir à ce que les auteurs des meurtres soient punis : qui doit-on blâmer, lorsque l’auteur d’un crime est en fait la victime d’un autre, bien plus hypocrite ?
Le Sang des Prairies se situe à mi-chemin entre le roman d’enquête, le récit de guerre et le western. Inspiré de faits et d’intervenants réels, l’ouvrage vise plus loin que le simple divertissement : il raconte l’histoire que bon nombre de canadiens ont oubliée, l’histoire des premières minorités canadiennes qu’on a voulu détruire par la cruauté et l’injustice. Un style accessible et fluide, ainsi qu’un ton naturel, authentique et humain alternant entre le grave et le léger, rendent la lourdeur des sujets abordés bien plus digeste qu’on serait porté à le croire : en effet, la plume de Côté nous transporte du début à la fin du roman sans qu’on ne voie passer le temps. Le roman terminé, on en redemande, on le relit. Sans conteste un incontournable de la rentrée.