Cette année, Anne Marie Ninacs, commissaire invitée, a choisi d’explorer le thème de la lucidité. Selon elle, « il semble urgent que la photo serve à repérer les conflits qui se déroulent en nous-mêmes et qui sont en grande partie responsables des misères extérieures ». Voir clair dans l’obscurité est ainsi le message que tente de véhiculer chaque photographe participant à la biennale.
Situé dans le Griffintown, l’Arsenal, ce nouveau temple montréalais de l’art contemporain, est en parfaite harmonie avec l’étrange impression d’oppression et de noirceur qui se dégage des photographies exposées. Avec des titres tels que The Dead de Jack Burman, qui a parcouru le monde pour photographier de plein fouet la mort, ou la vidéo Deliquesce par le collectif Gemmiform, qui évoque la volonté nostalgique d’un retour aux origines de la vie en recréant graphiquement la croissance d’un champignon ; la noirceur est à l’honneur. Par ailleurs, une minorité d’artistes choisissent de célébrer la vitalité et la vivacité de notre existence, comme c’est le cas de Rinko Kawauchi qui nous propose dans Illuminance une série de photos surexposées honorant la sensualité, ou encore En cours de route de Corine Lemieux, un véritable éloge du quotidien. Le contraste entre le morbide et l’illumination est frappant, et ce n’est qu’en quittant les lieux qu’on se rend compte qu’une bouffée d’air frais s’impose après cette aventure dérangeante, à l’image du malaise ambiant qui imprègne la société.
Si l’on devait élire le photographe de la soirée, Roger Ballen remporterait la majorité des votes. Originaire d’Afrique du Sud et détenteur de nombreux prix, cet artiste perçoit la pratique photographique comme un long voyage existentiel et psychologique. Exclusivement imprimées en noir et blanc, les images issues de sa série Asylum représentent des mises en scènes macabres ou s’entrelacent des visages inexpressifs, des corps d’oiseaux en décomposition, des hommes sans têtes, des gribouillages indéchiffrables ainsi que toutes sortes d’objets sordides. C’est avant tout la démarche artistique du photographe qui attire l’attention plutôt que le contenu dense et lugubre de ces mises en scènes. En effet, il utilise la photographie comme support de représentation des œuvres d’arts qu’il réalise au préalable en utilisant soit le dessin, la peinture, le collage ou la sculpture. Pourquoi ne pas alors présenter directement au public ces œuvres d’art sous leur forme originelle au lieu de les faire revivre à travers une surface plate et linéaire ? L’artiste ne dénature-t-il pas la photographie en la faisant passer pour secondaire, en lui affligeant un rôle qu’on pourrait qualifier d’utilitaire ? Au contraire ! Cette démarche vise à valoriser la photographie en lui confiant la responsabilité d’ancrer son œuvre d’art périssable dans une existence intemporelle et de rendre concret ses tourments auparavant enfouis. Roger Ballen précise qu’il photographie ses œuvres pour « témoigner du fait que l’asile étrangement familier où vivent ces volatiles existe bel et bien dans notre réalité, et peut-être même dans notre psyché ». Difficile d’y voir clair !