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Qui a peur de Mordecai Richler ?

Entrevue avec Louis Hamelin, premier écrivain en résidence Mordecai Richler du département de langue et littérature française à McGill.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Le Délit : Comment vous sentez-vous d’être de retour à McGill ?
Louis Hamelin : Cela me fait un petit velours, c’est sûr. Il y a de l’eau qui a coulé sous les ponts depuis le temps où j’étudiais au campus MacDonald. Je suis sorti de McGill comme biologiste, j’y reviens comme écrivain ! Comme je l’ai écrit dans mon livre sur la crise d’octobre [La Constellation du Lynx, NDLR], McGill est un bastion de l’establishment anglophone. Mais comme je suis Montréalais de cœur, je suis sensible à la réputation de l’université.

Gracieuseté de Louis Hamelin

LD : Qu’est-ce qu’un écrivain en résidence ?
LH : Il s’agit d’une formule importée, je pense, des États-Unis, par laquelle une faculté s’attache un écrivain qui devient un consultant en littérature. L’écrivain reste disponible auprès des étudiants et des professeurs, par exemple en venant parler de son expérience littéraire dans les salles de classe. Quant à moi, je donnerai aussi un atelier d’écriture narrative. L’essentiel est vraiment de venir partager avec les étudiants mon rapport à la littérature.

LD : En quoi le programme d’écrivain en résidence Mordecai Richler se distingue-t-il ?
LH : La grande nouveauté est qu’il s’agit d’une double résidence avec Kathleen Winter [une écrivaine canadienne anglophone, NDLR], ceci afin de refléter le caractère biculturel de Montréal. Ensuite, la Faculté des Arts de Mcgill présente le programme sous le patronage de Mordecai Richler [un écrivain canadien anglophone provocateur, NDLR]. Cela n’est pas sans ambiguïté politique : après tout, Richler s’en prenait à la Loi 101 !

LD : Que représente Mordecai Richler pour vous ? Quel effet cela vous fait-il d’avoir été choisi en son nom ?
LH : Cela pourrait en surprendre plusieurs, mais je considère que le pays que je partage avec Mordecai Richler n’est ni le Québec ni le Canada : c’est la littérature, c’est le territoire du roman. Je vais vous donner un exemple : Gaston Miron, un grand poète national, a reçu en 1985 le Prix Molson. Pour la remise du prix, il y a eu une cérémonie au Ritz-Carlton, l’antre de Mordecai Richler. Monsieur Richler a interpellé Miron, qui s’est empressé d’aller le saluer. Lorsque Miron est revenu vers ses amis, certains d’entre eux lui ont dit qu’il venait de serrer la main du diable. Miron a répondu qu’un écrivain avait serré la main d’un écrivain, et c’était tout.

Je respecte de nombreux auteurs même si nos opinions divergent. J’ai beaucoup débattu de ces sujets avec Dany Laferrière et même avec Noah Richler, le fils de Mordecai, mais cela ne m’a pas empêché d’obtenir le poste ! J’estime avoir le droit d’être en désaccord avec Mordecai Richler, tout en le reconnaissant comme un grand romancier qui m’a beaucoup influencé. C’est sur le Richler littéraire que sera mis l’accent durant cette résidence, afin de perpétuer la mémoire de l’écrivain.

LD : Voulez-vous dire que c’est un Hamelin littéraire qui représentera un Richler littéraire, en mettant de côté le politique ?
LH : Non, une séparation aussi nette est difficile à faire. Et puis je ne suis pas ici pour faire de la publicité post-mortem à Richler, ni pour « marcher dans ses traces » –malgré ce que disent les communiqués de presse. Il ne faut pas avoir peur de parler de politique, tout en sachant la différencier de la littérature. Après tout, Céline était un fervent antisémite, et Sartre était aveuglé par l’utopie soviétique. Ceux qui ne peuvent différencier l’homme de l’écrivain ne peuvent pas reconnaître le génie de Céline et de Sartre. Je crois que cette distinction est nécessaire.

LD : Avez-vous des projets qui concernent Richler lui-même ?
LH : J’aimerais organiser un colloque qui s’intitulerait « Qui a peur de Mordecai Richler ? » avec des intellectuels canadiens anglophones et francophones. Après tout, le personnage est d’un grand intérêt : ssorte de rebelle et de provocateur qui se mettait à dos l’establishment, il fréquentait néanmoins la bonne société. Être un satiriste féroce ne l’empêchait pas d’avoir des ambitions sociales.

LD : Devrait-on ostraciser Richler pour ses positions anti-québécoises ?
LH : Avant de répondre à cette question, je vais relire son Oh Canada ! Oh Quebec ! D’après ce que je sais de sa personnalité, je soupçonne que son intention était de provoquer. Dans tout les cas, je suis sûr qu’un homme comme Richler peut stimuler le nationalisme québécois par le débat qu’il crée.

Et à vrai dire, j’aurais adoré croiser le fer avec Richler de son vivant. J’ai une haute estime de la polémique littéraire : je la vois comme un duel d’escrime qui comporte un code d’honneur implicite. Lorsque civilisés, les opposants s’affrontent, puis se serrent la main.

LD : Continuerez-vous à écrire cette année ?
LH : J’essaierai de consacrer trois ou quatre jours par semaine à l’écriture, entre mes ateliers et la lecture des écrits de mes étudiants. Je suis père de famille et j’ai un bébé de dix mois qui rentrera bientôt à la garderie : cela devrait me laisser plus de temps pour écrire !


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