Une fois le portail Roddick franchi, le regard voudrait se poser sur les colonnades néo-grecques du musée Redpath ou sur le fronton toscan du bâtiment des Arts, mais la stature aérienne de Burnside attire l’œil comme un aimant. Avec sa structure en plaques de béton moulé et sa façade de béton renforcé, la tour ne démérite pas son sobriquet de « bunker ».
Bloc austère troué par treize rangées de meurtrières verrées, Burnside fait grise mine à côté de l’autorité clinique de Otto Maass ou des symétries classiques des siamois Macdonald. Le bunker est bien le rejeton de la décennie 1960, de ses aspirations progressistes et de son climat fonctionnaliste, anti-bourgeois. C’était la Révolution tranquille, et la police anti-émeute veillait à l’entrée du campus, devant un mouvement de francisation en branle.En architecture, l’audace de Le Corbusier avait lancé le Brutalisme, ce culte du béton, à la conquête d’un monde pressé et assoiffé de constructions à bas coûts. Beaucoup s’en mordent les doigts aujourd’hui. « La Luftwaffe a au moins eu la grandeur, lorsqu’ils détruisirent nos bâtiments, de ne les remplacer que par des ruines, et rien de plus laid », s’est un jour indigné le prince Charles. Les angles droits et froids de Burnside ont beau se fondre dans le gris du ciel hivernal, ils n’ont jamais plu à personne.
Le département de Géographie y a emménagé au mois de février 1971, en pleine tempête de neige, rejoint plus tard par les départements de Mathématiques et des Sciences atmosphérique et océanique. Les étages supérieurs, aux couloirs étroits et aux néons flavescents, sont à peine égayés par quelques blagues scientifiques épinglées aux portes—«je suis ta moitié statistiquement significative » ou « le cercle bureaucratique est plus long que la route directe par un facteur pi ».
Au sous-sol, la fraîcheur des rangs de casiers ceinture une poignée de salles de classes. « Je viens déposer mes affaires, puis je fuis », avoue Malcolm, étudiant à la Faculté des Arts, visiblement peu convaincu par l’atmosphère presque minière du bas-fond de Burnside. Il y a bien quelques sofas, de la chaleur humaine et une cafétéria qui vend des plats chauds pour pas grand-chose, mais il manque de lumière.
C’est derrière le portail vitré de la bibliothèque Walter Hitschfeld que Burnside exhibe finalement ses agréments. La grande salle surplombe tout juste la cime des arbres du Lower Field, si bien qu’elle paraît suspendue au-dessus d’une canopée. Des globes immobiles y trônent, assis sur des tiroirs de cartes. Sur les murs, et en évidence, Charles Lindbergh pose en affiche, réminiscence d’un temps où la science était d’abord une aventure.
Dehors, au sol, Burnside est isolé, comme en quarantaine, le vilain du campus. Seul le merveilleux Jardin Roulant, chaque année plus luxuriant, se risque dans sa vicinité. Culture en terrasse, carrés potagers et plantes grimpantes… Antoine de Saint-Exupéry, un autre aviateur et poète, y devinerait une forêt invisible se préparant à bousculer un peu tout ce béton. La nature, quant à elle, ne fait jamais de fautes de goût.