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Quand l’Art pénètre une église presbytérienne

Pourvu de son nouveau bâtiment Claire et Marc Bourgie, le Musée des Beaux-Arts de Montréal se targue d’être le premier musée du Québec, et se classe désormais parmi les grands temples de la culture occidentale.

Gracieuseté du Musée des Beaux-Arts

Dans la foulée de son 150e anniversaire, le Musée des Beaux-arts de Montréal ne cesse de croître en ampleur et en rayonnement. Ce mois-ci, l’inauguration du pavillon Claire et Marc Bourgie vient de faire entrer le Musée au panthéon des hauts lieux culturels de l’Amérique du Nord. D’où l’enthousiasme de Nathalie Blondil, directrice et conservatrice en chef : « Ainsi monumentalisée dans un théâtre de la mémoire, la collection d’Art québécois et canadien du Musée se singularise par sa profondeur historique […] et géographique ».

Gracieuseté du Musée des Beaux-Arts

Qu’est-ce qui fait de ce musée le plus important au Québec ? Jacques Des Rochers, conservateur de l’Art québécois, canadien et autochtone, répond avec fierté : « Au cours des derniers 150 ans, le Musée s’est maintenu et n’a jamais cessé de grandir, ce qui est incomparable pour un musée des Beaux-Arts. Si l’on pense à la Pinacothèque de l’Université Laval, le projet a été éphémère et a été absorbé par le Musée de la civilisation. Non seulement notre musée a‑t-il la plus grande superficie de tous les musées du Québec, mais il est aussi l’un des plus anciens en Amérique –encore plus que le Musée des Beaux-Arts de Boston ou le Metropolitan de New York ».

En plus d’être le porte-étendard de nos artistes, le Musée est un gardien de notre patrimoine. Il a remporté son plus récent combat avec la sauvegarde de l’église Erskine, un bâtiment centenaire de confession presbytérienne désigné « lieu historique national », qui avait été fermée et désacralisée en 2004. Après le départ de son dieu, c’est maintenant l’Art qui impose son crédo derrière les murs néoromans de l’église Erskine. L’orgue a fait place aux pianos et aux clavecins, et c’est le jazz et la musique symphonique qui feront désormais résonner la nef, convertie en une salle de spectacle de 444 places.

Gracieuseté du Musée des Beaux-Arts

Six niveaux d’Art québécois, autochtone et canadien
La consécration d’un nouveau bâtiment renfermant six-cents œuvres réparties sur six niveaux est une entreprise de 42,4 millions de dollars, dont 19,4 millions ont été assumé par le gouvernement du Québec, et 13,5 millions par le gouvernement canadien. Nommé d’après un couple de mécènes, le pavillon Claire et Marc Bourgie fait 50 125 mètres carrés de superficie. « Nous avons insufflé une nouvelle vigueur à la culture québécoise et canadienne, qui était sous-représentée au Musée » souligne Nathalie Blondil. Jacques Des Rochers compense l’omission de Madame Blondil en ajoutant que « l’Art des Premières Nations est représenté à chaque étage ».

C’est effectivement l’œuvre du peintre cri Kent Monkman qui porte une première claque à la sensibilité du visiteur. Situé sur l’étage « Identités fondatrices 1700–1820 », le tableau Les Castors du roi est une orgie de chair et de sang qui porte au premier plan un Amérindien extirpant du cœur d’un castor étranglé son poignard au pommeau en fleur-de-lys. Si le style se veut un clin d’œil à l’Art du 18e siècle, les expressions ensauvagées des Amérindiens rappellent les tendances maniéristes de la Renaissance, alors que les couleurs sont si palpitantes et percutantes qu’on croirait que le cartoon s’est immiscé (avec brio) dans les Beaux-Arts. À lui seul, le tableau vaut la visite.

Un dernier éloge à l’étage « L’Époque des salons 1880–1920 », témoin d’une ère où nos artistes allaient étudier dans les académies européennes pour ramener au pays le savoir-faire du Vieux Continent. Les murs saturés de paysages romantiques feraient pâlir Caspar Friedrich, tandis que la plateforme centrale déploie quelques pièces maîtresses de la sculpture d’ici. L’essence de la salle est capturée par la Bénédiction des érables de Suzor-Côté : sur ce tableau se déploie une procession de prêtres et d’acériculteurs invoquant la providence divine sur les sentiers enneigés d’une érablière. Après avoir effleuré quelques nouvelles vérités sur la conscience d’un peuple, on quitte le pavillon le cœur empli d’hiver, en portant en nous le froid d’être canadien français.


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