En quoi consiste cette nouvelle pratique artistique entièrement numérique ? Est-elle connue du grand public ? Essayons d’éclaircir la question. À cheval entre la photographie et la vidéo, le cinémagraphe consiste à mettre en mouvement une partie isolée d’une photographie à l’aide de Photoshop afin d’immortaliser davantage l’instant photographié dans sa réalité passée. Cette nouvelle tendance est née avec Jamie Beck et Kevin Burg, photographes de mode et designers graphiques, dans l’idée de moderniser et d’embellir le Gif. Le principe est alors de réaliser une photo en incorporant une légère animation. Cela peut être en mettant en mouvement la marche des passants à travers une fenêtre alors que le reste de la scène est immobile ou simplement en reproduisant un clignement d’œil. Lorsqu’on est confronté à ces images qui mettent l’accent sur un mouvement précis du passé, on a l’impression que la scène est romancée, qu’on est dans une dimension étrange, rattachée à aucune temporalité. Ces animations d’apparence simple donnent un résultat parfois étonnant !
C’est le cas du travail d’Ana Pais, photographe et graphiste vénézuélienne de vingt-quatre ans qui a réalisé une série intitulée « Eternal Moments ». Elle cite une phrase de Roland Barthes : « Ce que la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois ». C’est ainsi dans cette volonté de revivre le temps révolu, de figer l’instant à la seconde près, d’empêcher l’évaporation du vécu que s’inscrit l’œuvre de l’artiste. Le cinémagraphe est finalement un moyen supplémentaire mis entre les mains de quiconque souhaite lutter contre la fatalité du temps et la mélancolie qui en résulte. Être capable d’être à nouveau spectateur d’un de ces petits riens de la vie qui pourtant participent à notre bonheur, c’est le défi lancé par ce nouveau support artistique. La naissance de la photographie animée montre que les frontières entre les disciplines artistiques continuent sans cesse d’évoluer. Le cinémagraphe est rendu possible par le progrès informatique et l’augmentation de la vitesse de téléchargement sur Internet, la taille des fichiers étant très importante. L’accès à ces créations artistiques est ainsi réservé à un public plus fortuné, hiérarchisant cet art émergent. Au contraire de la peinture, de la musique ou même de l’écriture qui sont des disciplines accessibles à une grande partie de la population, qui ne demandent pas d’installations coûteuses, « l’art en ligne » reste restreint. Peut-on alors dire que l’ensemble de l’art numérique constitue une pratique élitiste ? Ces œuvres auront-elles la chance d’être reconnues ou finiront-elles par se fondre dans l’étendue massive du net ?