République : un abécédaire populaire, la dernière production du réalisateur Hugo Latulippe, se fait très vite rattraper par les rouages du système qu’il décrie.
Pourtant, le projet est louable : envisager un monde alternatif, meilleur, et appréhendable. Une planète idéale sur laquelle les inégalités auraient disparu, un retour à l’essence même de l’humanité, à l’encontre du monde productiviste et consumériste d’aujourd’hui. Comment ne pas céder à ces idéaux populaires si attrayants ?
Le documentaire est, en lui-même, plus une succession d’entrevues avec un grand nombre d’invités, certains plus essentiels et inspirants que d’autres. La mode est aux spécialistes. Symptomatique d’une société qui n’écoute seulement ce qu’elle veut entendre, seulement par des gens dont c’est le métier, afin de nous prouver à quel point nous avons tout faux dans ce système socioéconomique où l’on se complait à se révolter pour se donner bonne conscience. Voilà République. Plutôt un abécédaire populiste que populaire. Au moins, le film des productions Esperamos films a le mérite de remettre en question le système. Ceci aurait pu s’intituler « révolution ». Une révolution quotidienne admirable diront certains, mais au paroxysme de la contradiction selon d’autres. On confond souvent république et anarchie, et cette république sociale-démocrate du troisième millénaire, que le réalisateur promeut, n’a d’apanage que de grandes et vides prétentions. De plus, la social-démocratie n’a dans son essence même aucun élément de désordre comme le film le sous-entend.
Pris un à un, les invités du documentaire sont presque tous des personnages passionnants. Qu’ils soient Guy Rocher, fameux sociologue québécois et protagoniste de la révolution tranquille, Serge Bouchard, passionnant anthropologue, Amir Khadir, le médecin député, Françoise David en politicienne frustrée, Christian Vanasse, sans grand contenu, ou autres chefs et ex-chefs de divers innombrables syndicats nationaux, tous les intervenants sont néanmoins orchestrés dans le montage d’Hugo Latulippe dans un concert d’approximations dans les faits exposés, tels des arguments d’autorité. Le résultat est un mélange d’utopies farfelues d’un univers aux valeurs nombreuses mais peu certaines.
À l’instar de ce monde doucement cacophonique, les images sont froides et le noir et blanc des entrevues dénote un esthétisme maladroit. Comme si le désir incessant de lyrisme tant par les mots que par l’image parvenait paradoxalement à un résultat apoétique et dénué de toute richesse artistique, finalement assez proche de notre société.
Le problème de fond de ce modèle de petit soldat néo-zapatiste en mal d’idéal est qu’il est le produit de cette société, ce qui engendre d’immenses contradictions. Finalement, y a‑t-il vraiment urgence ? Le documentaire nous donne l’impression d’un malaise existentiel, comme si nous vivions dans un système répressif où les libertés fondamentales étaient bafouées et le désir de souveraineté sous-jacent. À voir les contradictions dans lesquelles Hugo Latulippe s’embourbe, le temps serait sans doute plus à la réflexion qu’à ce fantasme bourgeois et bruyant aux desseins politiques parfois vaseux.
Le film répond plutôt bien à ce que la société désire : dénoncer ses vices tout en poursuivant sa dérive consumériste, ou quand la petite bourgeoisie montréalaise s’adonne à repenser le monde à coups d’enfilage de lieux communs et d’enfonçage de portes ouvertes…
Au fond, ce qu’Hugo Latulippe nous propose est une sorte de repli sur nous-mêmes, niant la réalité du contexte global dans lequel nous vivons, aujourd’hui inhérent à notre condition humaine moderne, à notre mode de pensée. Le repli sur soi, l’humanité l’a connu dans des temps plus obscurs, et cela nous a souvent amenés à prendre des décisions aux conséquences dramatiques et sanglantes. Voulons-nous vraiment nous orienter dans cette direction ?