À l’île Maurice, petite et vieille société plurielle, trois grandes religions se croisent au quotidien : l’hindouisme, le christianisme et l’islam. Ces crédos sont toujours un facteur fort d’identité et d’appartenance. La constitution garantit la liberté de conscience, de pensée, de conversion et punit toute discrimination. Autrement, la loi est muette quant au rapport des religions, tout comme le rapport aux religions, au sein de l’espace public.
Dans l’aire d’influence de la République d’Inde, Maurice aurait pu se laisser guider par le /Secular State/ résolument indifférent à la religion de ses citoyens. À cause des dimensions étroites de l’île, ou en raison du diviser pour mieux régner colonial, le communautarisme eut finalement le dernier mot. On en vint à un tribalisme religieux, à un clientélisme clérical pervers. Au final, le tableau peut paraître inquiétant : discours sectaires de prêtres catholiques créoles, montée d’un radicalisme hindou mi-mafieux mi-religieux, percée d’un salafisme wahhabite chez les musulmans… Voilà un beau désordre de valeurs et d’identités, avec l’accord tacite de l’État. C’est dans ce climat social que j’ai grandi, issu d’une famille créole et chrétienne. À travers le microcosme mauricien, c’est une image assez sombre et pessimiste des religions qui se dessine, de même qu’un plaidoyer pour la nécessité de laïcité, libérée de faiblesse et de complaisance. En fréquentant un lycée français à Maurice et découvrant une autre approche, j’en conclus que la solution se trouvait dans l’Hexagone : une laïcité catégorique, tranchante et intransigeante. Tout en étant noble héritière des Lumières.
Arrivé à Montréal, mes convictions s’évanouirent comme un mirage. Lire la constitution d’ici aurait été inutile ; il n’y avait qu’à regarder autour de soi et écouter pour percevoir qu’au Québec, les minorités et la majorité religieuses cohabitent dans une relative harmonie. Tout au long des promenades urbaines, l’islam pratiqué dans la rue combine hijab et jeans-slim, l’identité catholique se revendique malgré les perfidies passées du pouvoir clérical, un petit garçon arbore un Spiderman brodé sur sa kippa. Peu importe à quel point les accommodements raisonnables ont été décriés, la laïcité au Québec semblait utopique comparée à celle de la France.
Outre-Atlantique, la privatisation forcée de la foi a conduit au repli des catholiques dans des communautés souvent fermées, les plus isolées étant exposées au conservatisme, à l’intégrisme, parfois à l’antisémitisme. Concernant le rapport à l’islam, les élites se sont souvent enfoncées dans un discours alarmiste, borné et radical. La laïcité à la française, du moins dans ses dérives les plus pernicieuses, a été un nouveau masque pour la haine de l’Autre.
Au-delà de l’émerveillement initial, il faut reconnaître que la laïcité québécoise est encore un champ en friche. Mais celle-ci devrait se méfier du trompe‑l’œil français.
Après les pestes rouges et brunes du XXe siècle, notre époque souffre entre autres de la peste grise, celle de l’intégrisme et de l’enfermement religieux. En polarisant religieusement la société, une laïcité dogmatique pourrait être responsable d’une prolifération des soutanes sombres et des barbes noires à Montréal. Ce serait bien la faute à Voltaire.