C’est au son d’un violon écorché qu’on entre subitement dans le monde d’un cinéaste qui flirte avec la dramaturgie. Avec La Piel que Habito (La Peau que j’habite), Pedro Almodovar percute l’univers cinématographique avec une émouvante férocité. Avec cette adaptation du roman de l’écrivain français Thierry Jonquet Mygale, le sulfureux réalisateur espagnol reste fidèle à sa méthode lyrique et incisive. Sélectionné au dernier festival de Cannes, ce film regorge de tragédie, de volupté et de coups de théâtre assourdissants.
C’est une histoire qui, de prime à bord, nous plonge dans l’univers psychédélique de la science. La Piel que Habito est une exploration du monde médical sous l’angle du sordide et de la romance douce-amère. C’est l’ambition d’un éminent chirurgien esthétique, Robert Ledgard (Antonio Banderas), qui donne le ton au film. Il travaille sur un projet particulier qui est de créer une peau synthétique aux qualités surhumaines. Une femme, nommée Vera (Elena Anaya), dans une combinaison rappelant la chair humaine, est emprisonnée et surveillée. Les images défilent dans une logique qu’on n’anticipe pas. Le comportement mystérieux du médecin et son admiration pathologique pour ce qui semble être son cobaye déclenche un processus de violence qui est exprimée par l’automutilation sensuelle de sa patiente. Le cycle du mensonge et de la trahison fait vite place à l’arrivée de la vengeance calculée.C’est typiquement almodovaresque : on y trouve des éléments clés qui font partie intégrante de l’écriture du réalisateur. Cette écriture surprend en éclaboussant la trame narrative du film avec des thématiques classiques. Ainsi, la colère, la rancune, la mort et l’exposition des corps dans leur expression la plus pure donnent une force artistique et esthétique au film. On y retrouve l’exploitation des corps et leurs mouvements dans l’espace. La nudité dégage une forme de folie que maîtrise le cinéaste. Le meurtre y est décrit comme un acte de libération et la vengeance comme une rédemption.
Les personnages sont complexes, faibles, lâches, mais gagnent en force. Ce paradoxe qui encadre la faiblesse et la force de caractère des personnages est caractéristique des œuvres du réalisateur. La prestation d’Antonio Banderas est sans fantaisie et traduit avec simplicité les facettes multiples de son personnage. Quant à Elena Anaya, elle est sublime. Elle rayonne en tant que prisonnière qui devient malgré elle un objet sexuel convoité et abusé. L’actrice se donne complètement. Son interprétation dessine l’esquisse d’une jeunesse glaciale. La beauté est l’une des dynamiques essentielles qu’on a voulu exposer presque avec vulgarité.
La trame du film ne se résume pas aux caprices d’un médecin quasi-fou ni même à une patiente ne jouissant d’aucune liberté. L’intrigue est pulsionnelle et révèle un coup de théâtre auquel on ne s’attend pas. La plus grande pulsion exposée demeure la sexualité que Pedro Almodovar nous présente sous différents angles. C’est une sorte de retour aux fondamentaux : la nudité esthétique et la vulnérabilité du corps dans un environnement hostile. Cette approche laisse croire que l’amour ambigu n’est qu’une corrida emplie de désir bestial qui pousse au crime passionnel et à la vengeance.