Quartier Libre : Y a‑t-il eu des recommandations spécifiquement pour les universités sous l’angle des accommodements raisonnables dans le rapport Bouchard-Taylor ?
Gérard Bouchard : Il n’y a pas eu de recommandations spécifiquement sur les universités. Cependant, nous avons traité du sujet dans certains chapitres du rapport puisqu’il y avait des questions intéressantes en rapport avec la société universitaire. Par exemple, le cas des organisations musulmanes. Devraient-elles être situées en marge de la société étudiante, ou incorporées au système comme les autres associations ? Le problème est qu’en refusant cette alternative, il y a un risque que ces étudiants se sentent exclus, et en acceptant, ceux-ci vont s’exclure eux-mêmes. Ceci les empêcherait de s’inclure à la vie universitaire. Mais généralement, nous n’avons pas fait de recommandations spécifiques pour les universités dans notre rapport puisque nous n’avons pas observé de problèmes.
Le Délit : ne pensez-vous pas qu’il existe quand même une différence entre le système d’éducation francophone et anglophone, ce dernier favorisant plutôt ces formes d’exclusions ?
GB : Le moule était déjà là dans le cas de McGill et la vie étudiante était déjà structurée autour de cet idéal, donc c’est naturel que le modèle soit favorisé.
LD : Mais cela ne créerait pas des incitations qui amèneraient d’autres groupes à s’exclure de la communauté étudiante, ce qui pourrait créer des tensions ou contraindre l’intégrité du corpus universitaire ?
GB : Bien sur ! Mais les administrateurs ont quand même laissé ces associations se multiplier et ils voyaient ça sous un bon œil. Mais nous pouvons critiquer cette initiative puisque ces étudiants se soustraient quand même de cette mainstream culture. Cependant, l’approche anglo-saxonne diffère de l’approche francophone. Cette dernière veut généralement légiférer pour l’ensemble et uniformiser les choses, ce qui n’est pas du tout la même chose que l’esprit anglophone, qui est plus près des individus.
LD : Dans le contexte de la société québécoise, qui se définit comme une minorité francophone et fragile en Amérique du Nord, pensez-vous qu’il serait temps que celle-ci commence à se redéfinir pour briser avec l’idée qu’elle va se faire engloutir par la majorité anglophone ?
GB : Là nous ne parlons plus du Canada anglais, mais plutôt de mondialisation. Cette source d’inquiétude est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Contrairement au passé, où le Québec se défendait contre le traditionnel ennemi fédéral qu’il connaissait déjà très bien, la mondialisation, elle, n’a ni queue ni tête et n’est pas présente à un endroit fixe. Elle est omniprésente. Sous cette optique, j’ai hâte de voir si les jeunes continueront dans cette nouvelle culture « mondialisée » et multiculturelle, ou bien s’ils retomberont dans les mythes nationaux traditionnels. Ces mythes sont très forts et correspondent à des angoisses bien réelles. Malgré un certain pessimisme, je reste quand même ouvert à d’autres possibilités.
Propos recueillis par Louis-Philippe Tessier et Samuel Sigere.