Deux tabous.
L’alcoolisme est une dépendance grave à l’alcool. Dû a ses effets euphorisants et déstabilisants, elle entraîne une perte de contrôle, une détresse psychologique et un dysfonctionnement social.
La maladie mentale, véritable non-dit de la médecine moderne, est un lourd stigma qui affecte pourtant la population avec des ratios comparables au cancer, mais qui entraîne un fardeau de culpabilité, puisque l’on croit encore que les troubles psychologiques s’apparentent à la paresse plutôt qu’à la maladie.
Or, qu’en est-il de la cohabitation de ces deux réalités chez une même personne ? Elle n’est pas rare, pourtant, bien au contraire et s’il est vrai que la dépendance à toute substance est une forme de trouble mental, l’alcoolisme a cette distinction de promouvoir les bouleversements futurs dans l’équilibre psychique de ceux qui en sont affectés.
Maladies mentales : les chiffres
Dans sa plus récente étude, Éduc’Alcool a publié un rapport reliant l’alcoolisme et la maladie mentale. On y relevait des données d’une enquête menée au Québec qui affirmait qu’au courant de leur vie, 23% des Québécois seraient affectés par un trouble de l’humeur ou un trouble anxieux. De surcroît, c’est chez les jeunes que la maladie mentale est la plus répandue, avoisinant les 15%.
Par maladie mentale, il est important de rappeler que le terme est large et fait référence autant à des conditions comme la schizophrénie ou l’anorexie, mais aussi les dépressions majeures, le stress chronique, les phobies, les troubles de personnalité, etc. Ces situations peuvent être persistantes ou temporaires.
L’approche médicale est toutefois peu reconnue en société, la collectivité ayant une certaine réticence à croire que les instabilités psychiques puissent être chimiquement déconstruites par l’administration de médicaments. Pourtant, « en 2005, les médecins québécois ont rédigé 7,5 millions d’ordonnances pour des antidépresseurs. Selon le Conseil du médicament du Québec, entre 2000 et 2004, une personne sur cinq (19,2 %) a pris des antidépresseurs pendant au moins un an », affirme le rapport d’Éduc’alcool. Il est vrai, à cet égard, que la prévention (c’est à dire un mode de vie équilibré) reste la meilleure issue contre la maladie mentale, ce qui reste un concept flou et malgré tout une évidence pour tout le monde.
Le lien entre alcool et maladie mentale n’est pas ténu. On reconnaît entre 15 et 20% de prévalence de la toxicomanie chez les gens atteints d’une maladie mentale, alors que ce taux grimpe à 50% chez les troubles anxieux, mentionne l’étude.
L’œuf ou la poule ?
Qu’en est-il des prédispositions ? L’alcoolisme mène-t-il à la maladie ou est-ce l’inverse ? Des chercheurs se sont penchés sur la question et leur conclusion suggère plutôt que ces deux conditions marchent main dans la main. À cet effet, il est suggéré que les prédispositions génétiques et environnementales pour les maladies mentales –car, oui, on peut être programmé pour développer la schizophrénie ou la dépression– sont dans tous les cas très similaires à celles qui aboutissent à l’alcoolisme.
En mettant en lumière les relations qui existent entre le dysfonctionnement de certains circuits nerveux, de plusieurs mutations génétiques ou traumatismes graves menant conjointement à des troubles mentaux et au développement de l’alcoolisme, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) suggère une approche thérapeutique qui prend en compte les deux problèmes comme étant reliés et devant donc être traités parallèlement. Il est aussi clair que chez de nombreux patients psychiatriques, la détresse vécue par leur situation médicale mène dans de plusieurs cas à ce qu’Éduc’alcool appelle « l’automédication », soit la consommation de substances apaisantes dans le but de réduire la souffrance. Dans ces cas, l’alcool est bien entendu une solution de choix. Beau, bon, pas cher, légal.
Le rapport confirme aussi que « lorsque les symptômes précurseurs de la maladie sont associés à la consommation de substances psychoactives comme l’alcool, le risque est plus élevé de développer une maladie mentale ». En ce sens, il est admis que si la génétique n’est généralement pas suffisante pour condamner un individu à une condition psychiatrique, l’alcool devient un déterminant clé. Cette réalité s’applique aux personnes prédisposées à développer un trouble schizophrène, alors que l’altération subtile des neurotransmetteurs, comme le glutamate, que cause la consommation d’alcool, est parfois suffisante au déclenchement d’une crise.
Il advient donc que ces deux situations, l’alcoolisme et la maladie mentale, s’auto-potentialisent l’une et l’autre et cohabitent, de ce fait, très fréquemment. Et si ces deux conditions ont des effets dégénératifs sur la qualité de vie, il est aussi facile de concevoir qu’ensemble, cette dégénération s’embourbe dans un véritable cercle vicieux jusqu’au fond du baril. L’Association américaine des psychiatres affirme en effet que dans neuf cas sur dix, une personne qui se suicide souffrait préalablement d’une maladie mentale, alors que l’OMS suggère que 25% d’entre eux ont un problème de consommation d’alcool, et que 50% des personnes suicidées étaient sous l’effet de l’alcool quand elles ont franchi le seuil.
À l’approche du temps des fêtes et de la fin de session, même s’il est vrai que la consommation d’alcool peut aussi être synonyme de festivités et de récompense méritée après une période de stress, il est important de se souvenir que la vodka ou tout autre alcool n’est peut-être pas la meilleure béquille sur laquelle se reposer en cas d’anxiété. Pour cela, il reste encore les amis, la famille et les professionnels de la santé, qui ont beaucoup moins de chances de vous rendre fou.