Aller au contenu

Le combat du peuple

rÉvolution : Bilan et perspectives du printemps arabe

Photo: Sarra Guerehani

« Un an déjà qu’un vent de démocratie souffle sur la Tunisie ainsi que le monde arabe et déstabilise les systèmes totalitaires en place. » Voilà comment le Collectif Tunisien au Canada introduisait son événement « rÉvolution », qui se déroulait dimanche dernier au Cinéma du Parc. Le plus étonnant tout d’abord, c’est qu’on avait le sentiment que ce véritable vent de démocratie avait trouvé refuge au sein de la population tunisienne expatriée au Québec, et cela alors que le pays traverse encore une période de transition difficile. En effet, l’heure était à la réjouissance, beaucoup de jeunes se trouvaient parmi la centaine de personnes venues assister aux projections, aux expositions et aux conférences qui évoquaient, on l’aura compris, la révolution de jasmin. La première conférence, intitulée « Défis socio-économiques et modèle d’avenir » a tout de suite mis l’accent sur le fait que la Tunisie est en plein processus révolutionnaire encore aujourd’hui et que beaucoup reste à faire pour qu’elle devienne un pays stable et économiquement soutenable. De nombreuses personnalités telles que Mohamed Balgouthi, Mohamed Mabrouk, Nancy Neamtan ou encore Fathi Chamkhi ont mené une discussion tournée vers l’espoir et la volonté du peuple tunisien, tout en précisant que les répercussions de la chute du président Ben Ali posent de graves problèmes démographiques, sociaux et économiques dans l’immédiat.

Photo : Sarra Guerehani

De nombreuses régions, notamment l’Ouest rural, restent très pauvres et la dette souveraine pèse fortement sur les ménages les plus démunis. En effet, environ 18,5% du PIB est consacré au remboursement de la dette et la Tunisie continue à emprunter à des taux d’intérêts élevés pour parvenir à rembourser. La corruption, quant à elle, a été de qualifiée de « goutte d’eau dans l’océan de problèmes que le gouvernement doit résoudre actuellement », rappelant ainsi que la Tunisie traverse une période extrêmement difficile. Cependant, certains indicateurs soulignent que ce cercle vicieux peut être arrêté.

Les interlocuteurs de cette conférence ont effectivement insisté sur le fait que l’investissement étranger reprend petit à petit malgré tout et que les exportations offshores ont augmenté de 15% en 2011. En plus de cela, la famille Trabelsi et le président Ben Ali lui-même détiendraient l’équivalent de vingt milliards de dollars d’avoirs à l’étranger qui appartiennent de droit à la population tunisienne et devraient lui être retournés. La situation est donc très complexe et il est évident que toute révolution est synonyme de violence, de haine et de tragédies humaines, mais que l’espoir et le dévouement démocratique conduiront vers une évolution et une Tunisie juste et autonome dans le futur.

C’est donc après cette conférence animée qu’aurait dû être projeté le documentaire Al Sharara (2011) réalisé par Mongi Farhani à propos de la première étincelle qui a déclenché la révolution à Sidi Bouzid. Des problèmes qualifiés de « hors de contrôle » par le comité organisateur nous ont privés de cette projection tant attendue. Le film a été remplacé par un autre documentaire intitulé Le Combat de la dignité (2008). Ce court-métrage, filmé clandestinement dans le bassin minier dans la ville de Redeyef pendant le soulèvement populaire du 7 avril 2009, met en perspective la répression incessante du régime. À la sortie du film, son réalisateur a été obligé de s’exiler en France pour ne pas être persécuté par les autorités tunisiennes. Le témoignage de Leila Khaled, dont l’époux et le fils ont été incarcérés à la suite de cette manifestation, est très émouvant et illustre le désarroi d’une population au bord du gouffre. Les conditions de leur détention, les tortures et les séquelles sont la marque d’un régime autoritaire sans pitié, malheureusement peu médiatisé avant janvier 2010. À la fin du documentaire, madame Khaled évoque même la possibilité d’un changement en ajoutant que « 2010 sera l’année de la jeunesse ». Il est donc évident que la révolution tunisienne n’est pas survenue par hasard et que le fait que le régime autoritaire ait fermé les yeux sur le malheur de son propre peuple est à l’origine même de sa chute.

La discussion autour de la « rÉvolution », consacrée à un des événements majeurs du XXIe siècle, a donc eu le mérite de rassembler de nombreux tunisiens et autres intéressés pour apprendre, discuter et former sa propre opinion. Les petits stands dans le cinéma et les expositions d’artistes talentueux ont également donné une ambiance festive à ce rassemblement, histoire probablement de saluer et de se réjouir d’un succès démocratique encore embryonnaire mais tout de même prometteur.


Articles en lien