Il est rare que de nouvelles créations en danse contemporaine soient rediffusées. Foutrement, présenté au Théâtre Quat’sous, a eu cette chance après avoir été présentée en 2010 à La Chapelle.
Dans le noir, une danseuse sur pointes amorce un tour sur scène, puis, sur un air d’opéra de Puccini, fait des pas de bourrée sur place. Un homme arrive et l’imite. Ils enfilent leurs équipements sportifs Cooper, ce qui laisse présager la suite des événements. Leur parade nuptiale entomologique a lieu à trois reprises, l’homme laissant littéralement tomber la femme, mais ils finissent par se désarmer.
Le deuxième tableau offre un contraste saisissant (la pièce entière étant d’une intensité en montagnes russes) avec le même couple, l’éclairage tamisé et la musique pour piano seul du compositeur Goldmund, laissant deviner l’intimité d’une chambre à coucher. Virginie Brunelle y intègre des portés spectaculaires et novateurs, à faire pâlir d’envie les grands chorégraphes de ballet d’aujourd’hui. Les portés au mur qui suivent apportent aussi une dimension surprenante. La chorégraphe a pensé à des détails, comme les doigts de l’homme formant un cœur sur le sexe de la femme lorsque celle-ci glisse entre ses bras. Les ondulations du dos de Simon-Xavier Lefebvre sont particulièrement charnelles et son effleurement d’un mollet féminin du bout des doigts se montre d’une belle délicatesse. On peut s’imaginer deux amoureux parfaitement complices.
La réalité s’avère tout autre. Dans la scène suivante, le même homme danse avec une danseuse différente mais portant une coupe de cheveux similaire, sous un éclairage néon bleuté. Sur la célèbre ballade « Love Hurts », l’entrejambe est plus exposé, le pied est haut, les mouvements coïtaux sont crus.
On revoit plus tard la première danseuse vêtue de ceintures lui comprimant la poitrine tel un corset. L’autre la rejoint et ensemble elles exécutent pieds nus une danse sauvage suggérant un défilé sur podium, juchées sur d’imaginaires talons hauts.
Les ceintures finissent par tomber, ce qui nous donne enfin droit à des baisers échangés entre le couple principal. Évidemment, la tendresse ne peut durer et fait place à une pluie orageuse de ceintures. L’homme reste seul à se battre contre lui-même, sur une musique pour piano préparé.
La pièce tire vers sa fin sur la chanson « To Build a Home », du Cinematic Orchestra avec Patrick Watson, ce qui illustre bien là où la chorégraphe veut en venir.
Les deux danseuses s’en tirent correctement mais sans plus au niveau de la technique sur pointes (pieds mollement pointés ici et là, arabesques en attitude qui manquent d’aplomb). Reste que c’est un rare plaisir de voir de la danse sur pointes à Montréal, sachant que peu de chorégraphes veulent fournir les efforts nécessaires. Foutrement est d’une belle physicalité, le pouvoir évocateur reposant plus sur la danse en tant que telle que sur la performance et la théâtralité, qui sont aussi bien maîtrisées soit dit en passant. Les pièces musicales et les éclairages accompagnent à merveille les intentions de la chorégraphe. Mais ce qui fait sa plus grande force est le mélange bien dosé de l’esthétique classique ponctué de trash contemporain.