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L’euro, c’est grave docteur ?

Alors que s’enchaînent le forum économique mondial de Davos (Suisse) et le Sommet de Bruxelles cette semaine, retour sur la crise de l’euro qui paralyse son continent

Webmestre, Le Délit | Le Délit

Qu’est ce qui a bien pu se passer pour que la zone euro, que l’on prétendait être il y a encore cinq ans comme l’égal des États-Unis, puisse être aujourd’hui autant dans la m****? Le dernier terme est certes fort et volontiers grossier mais c’est très probablement ce que se disent les politiciens et les économistes européens.

Tous les jours on nous abreuve de chiffres, de notes et de titres très alarmistes, voire fin-du-mondistes comme « la faillite de l’euro » ou même « l’explosion de l’euro ». Pourquoi donc ? Que s’est-il passé pour que subitement une puissance mondiale devienne le cancre absolu ? Est-ce d’ailleurs vraiment le cas ? Tout a l’air d’aller très vite, les ministres et autres dirigeants économiques surfant de réunions de crise en réunions anticrises, sans que l’on nous explique clairement ce qui se passe. Le Délit et le professeur Jagdish Handa analysent la situation. Monsieur Handa est professeur à McGill depuis 1966 et se spécialise en économie des politiques monétaires et en microéconomie.

Crédit photo : Images_of_Money
Afin de comprendre la crise actuelle, il faut d’abord se pencher sur celle qui l’a précédé, la crise des subprimes déclenchée en 2007, qui a fait trembler l’économie mondiale. Sans revenir sur les causes de celle-ci, il est essentiel d’analyser les politiques de relance instaurées par les gouvernements occidentaux à l’époque. Ceux-ci, avec l’aide du G20 et du Fond monétaire international (FMI), avaient décidé d’accroitre très fortement leurs dépenses afin de stimuler l’emploi et l’investissement et de racheter aux entreprises et individus certains titres boursiers qui s’étaient effondrés. Il y avait alors eu le fameux Plan de Bruxelles, d’un coût total de 200 milliards d’euro, qui s’ajoutait aux différents plans nationaux. En effet, les États de la zone euro s’étaient autorisés à s’affranchir de la limitation du déficit fiscal à 3% du Produit Intérieur Brut, à cause du caractère exceptionnel de la crise. Cette politique de relance, dite « par la demande », semblait être la solution au problème permettant d’atténuer une forte baisse de l’emploi, de la consommation et de l’investissement. Cependant, elle a également soulevé un problème épineux à l’origine de la crise de l’euro : le surendettement des États.
Crédit photo : c0incidence

Le surendettement fait plonger la zone euro

Comment va-t-on payer ? C’est la question que les marchés ont commencé à se poser au fur et à mesure que les États européens dépensaient alors que l’activité économique peinait à redémarrer. Le monde s’est alors réveillé en 2011 en se posant la question : et si un État ne pouvait plus rembourser ses dettes ?

Cet électrochoc, une première pour un pays occidental, a eu lieu lorsque la Grèce a commencé à plonger. La Grèce, à l’instar de l’Irlande et du Portugal, avait été très touchée par la crise des subprimes et avait dû fortement creuser son déficit budgétaire, ce qui faisait grimper automatiquement sa dette souveraine. Athènes, comme tous les autres gouvernements, finançait sa dette en émettant des obligations et des titres de créance, à court et long terme, sur les marchés financiers. Concrètement, la Grèce revendait des parts de sa dette sur les marchés en échange de liquidités. Par conséquent, la Grèce, et tous les États en général, comptent énormément sur la confiance qu’ont les marchés financiers vis-à-vis de leur stabilité économique.

Malheureusement ces marchés ont commencé à se bloquer lors de la crise de 2007, faisant moins confiance aux États qui étaient susceptibles de ne pas être en mesure de rembourser leur dette et ses intérêts. Selon le professeur Handa, cette relation de confiance s’est évanouie totalement lorsque le précédent gouvernement grec a annoncé en 2010 que la Grèce avait réussi à dissimuler l’emprunt d’immenses quantités d’argent pendant dix ans   grâce à l’intervention d’institutions financières américaines, dont Goldman Sachs.

Difficile alors pour le monde entier de croire qu’elle serait en mesure de rembourser sa dette. L’incertitude a atteint des niveaux inégalés, faisant exploser les taux d’intérêt qui sont corrélés positivement aux niveaux de risque. On commençait alors à penser que la Grèce pourrait être en situation de défaut de paiement (i.e. refus de payer sa dette) ou devrait du moins les retarder. A partir de 2011, alors que sa dette s’accentuait, plus personne n’a fait confiance à la Grèce.

Crédit photo : Terra Nova Foundation

La perte de confiance des marchés financiers

Cependant en quoi cela menace-t-il le reste de la zone euro ? C’est une question de méfiance. Les marchés financiers commencent à douter en 2011 de la solidité de la dette irlandaise et portugaise car les deux pays sont également dans une impasse économique où le chômage monte en flèche. Ce manque de confiance est parfaitement illustré par l’exemple des agences de notation financière. Ces agences, révélées au grand jour il y a un an, sont entre autres chargées d’évaluer la solidité des dettes des pays et de les noter. C’est alors que les noms de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings ont envahi les médias, devenant les bouc-émissaires des hommes politiques. Le professeur Handa souligne le fait que « ces agences reflètent finalement le sentiment général du monde financier, tout étant une question de confiance ». Celles-ci ont eu peur que la crise se propage dans le reste des pays de la zone euro du fait de leur monnaie commune et de la période de stagnation économique. Les notes des pays ont alors baissé au point où des pays comme l’Italie et la France ont vu leur note dégradée en décembre dernier.

Qu’est ce que cela signifie ? Que ces pays auront plus de difficultés à financer leur dette qui, en période de crise, ne fait qu’augmenter. Cela pénalise davantage ces États qui doivent alors faire d’importants efforts pour réinstaurer la confiance des marchés et réduire leur déficit budgétaire. Cela se traduit par « des plans d’austérité », dont le nom veut tout dire. Il s’agit d’importantes coupes dans les dépenses de l’État (i.e. baisse des budgets des différents ministères et privatisation d’industrie) et/ou d’accentuer les recettes de l’État en augmentant les taxes. C’est le cas presque partout en Europe à l’heure actuelle (à part en Suisse et au Luxembourg). Cependant nul n’est convaincu de l’efficacité de ces plans qui sont susceptibles à court terme de créer du chômage et de faire reculer l’activité économique, tout dépend de la structure de ceux-ci par rapport aux pays.

Crédit photo : Yoshi 2000

La crise de l’euro : un défi politique existentiel

Une autre solution a fait son chemin ces derniers mois dans les journaux : est-ce que la Grèce devrait quitter la zone euro ?  Là réside toute la complexité du défi auquel fait face l’Union européenne.  Jusqu’à quel point est-ce que l’Europe devrait aider son malade ? C’est une question extrêmement politique qui a pour enjeu l’union même de ce continent. Ce modèle d’union politique qui était montré en exemple dans les années  2000 serait-il sur le point d’imploser ? Car si l’UE abandonne la Grèce, n’y aurait-il pas un effet domino dont l’Irlande et le Portugal seraient les prochaines victimes ? Ce serait une défaite inimaginable pour l’Europe dont l’union avait pour objet de rassembler les nations et favoriser leur développement politique et économique. Financièrement cela pourrait se traduire par la fin de l’euro, comme le demandent certains partis d’opposition (le Front National en France). Cette monnaie, qui ambitionnait de devenir l’égal du dollar américain, a d’ailleurs vu sa valeur chuter en 2011 tant les spéculateurs et les marchés croyaient en un éventuel déclin de l’euro. Cependant, ce scénario catastrophe n’a pas encore abouti et l’on sent d’ailleurs dans les milieux décisionnaires une certaine vague d’optimisme depuis la semaine dernière.

Crédit photo : Images_of_Money

Davos 2012 : la fin de la tempête ?

En effet, même si la situation reste toujours très préoccupante, les différents observateurs présents au forum de Davos ont pu voir Mario Draghi, le nouveau président de la Banque centrale européenne, montrer des signes de satisfaction quant à l’évolution de l’euro. Vendredi dernier, il annonçait lui-même « des avancées remarquables dans la zone euro ». Selon lui, les pays de la zone euro seraient véritablement unis, ce qui est une belle avancée politique, alors que les marchés financiers seraient moins contractés depuis quelques semaines. C’est ce que confirme le ministre français de l’Économie, François Baroin, en expliquant que « la dégradation de la France n’a eu aucune conséquence : les taux d’emprunts sont même plus faibles qu’avant pour les pays sanctionnés par une agence », faisant allusion à la perte pour la France de la note maximale. Cela signifie que la confiance des marchés dans l’Europe et sa monnaie se réinstaurent tranquillement, une avancée vitale pour les pays qui cherchent à financer leur dette.  2012  s’annonce potentiellement comme une année plus positive que 2011 même si, comme le rappelle Mario Draghi, il faut continuer les réformes structurelles de la zone euro pour retrouver une croissance stable. En effet, si on observe actuellement une certaine phase d’optimisme,  il faut que cela se reflète dans l’économie réelle avec une baisse du chômage et une hausse des investissements. Le professeur Handa rappelle que c’est aux banques de favoriser l’accès au crédit pour les entreprises et particuliers. Les banques doivent jouer leur rôle de moteur de l’investissement et non être un frein  pour l’activité économique en se créant des réserves pour elles-mêmes. Cette année s’annonce ainsi cruciale quant au développement des évènements, que ce soit au niveau politique ou financier, et il faut espérer que Davos ne sera pas qu’un simple écran de fumée pour rassurer temporairement les marchés.

Qu’en est-il pour les canadiens ?

Comment réagit l’économie canadienne face à la crise européenne ? Selon TNS Canada, l’indice  de confiance des consommateurs  a pour la première fois depuis six mois très légèrement augmenté, passant de 95.2 en octobre à 96 en novembre.  Si cette statistique ne rassure pas totalement, elle montre que, au plus fort de la tempête, les Canadiens n’étaient pas complètement terrorisés par la situation. Il faut quand même rappeler que dans une économie mondialisée, le système bancaire sera forcément influencé alors que les exportations vers le vieux continent diminueront forcément, ce qui peut entraîner une hausse du chômage. Selon les analystes, on se rapprocherait alors davantage des États-Unis à long terme, là où la situation a l’air relativement plus stable. Douglas Porter, économiste en chef à BMO expliquait à CTV que l’économie canadienne continuera de progresser en 2012, tout comme aux États-Unis, même si il y aura quelques turbulences sur les marchés financiers. Il y aurait même, selon le patron de RBC, une occasion pour les banques canadiennes, réputées plus solides car moins enclines au risque, de se développer davantage alors que les concurrents européens sont affaiblis par cette crise.


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