Comme la plupart d’entre vous –oui, vous qui êtes toujours fidèlement à l’affût de ce qui se passe dans l’univers de la culture et plus particulièrement dans le fabuleux monde littéraire–, le savent sûrement, c’est l’année du manga à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Depuis un certain temps la bibliothèque vous propose des expositions, rencontres et autres activités, pour faire découvrir cet art fascinant et toute la culture japonaise qui l’accompagne. À cette occasion, et piquée par une curiosité fièrement ancrée dans l’actualité culturelle montréalaise, j’ai découvert deux mangas : La petite amie de Minami de Shungiku Uchida et La jeune fille au Camélias de Suehiro Maruo.
À première vue, La petite amie de Minami est une agréable histoire d’amour entre un jeune étudiant très sympathique et sa petite amie Chiyomi. Tout pourrait être parfait si celle-ci ne venait pas de rétrécir pour atteindre la taille d’une poupée Barbie. De toute façon, tout ce qui est petit est-il réellement mignon, comme le suggère l’adage ? Incapables de comprendre pourquoi la jolie demoiselle ne dépasse plus la grandeur des Schtroumpfs, les amoureux décident de garder ce secret pour eux. Leur quotidien oscille dès lors dans un fragile équilibre tantôt charmant, tantôt contraignant.
Entre le fardeau et le jouet, la jeune fille cherche sa place dans la vie de Minami. Tous les deux titillés par leurs hormones en éveil, ces adolescents devront trouver un moyen de vivre au jour le jour tout en satisfaisant leurs multiples envies et besoins sexuels.
Conte moderne, drôle, touchant, un peu trash, La petite amie de Minami est un petit bijou de par la qualité de son scénario, habilement servi par un dessin simple et dépouillé. Le lecteur s’identifie d’autant plus facilement aux personnages et aux situations que les décors sont minimalistes, voire inexistants, et que les traits sont linéaires et légers.
Place est faite à l’imagination, dans une certaine mesure. Un peu naïf et bon enfant, ce récit n’aborde pas les raisons du changement de taille de Chiyomi, et ne s’occupe que très peu des moyens disponibles pour faire revenir la jeune femme à son état normal. Tout est plutôt prétexte à observer et à partager les sentiments des deux personnages tout en abordant subtilement différents propos. Le changement physique de Chiyomi fait écho au handicap au sens large : le jeune Minami doit faire face à de nouvelles responsabilités, des sentiments contradictoires tandis que sa bien-aimée est toujours la même. Pourtant, leur relation a bel et bien changé.
Dans sa postface, l’auteur évoque les contraintes liées à la responsabilité d’un enfant, ce que confirme Minami, quelque peu épuisé par cette relation compliquée : « En apparence, je suis un lycéen… Mais, ces derniers temps, je ressemble à un vieux, fatigué de tout… Toi, c’est comme si tu avais gagné le droit de rester enfant toute ta vie ». Rester enfant, devenir adulte, accepter les changements imposés par une vie pas toujours clémente, autant de thématiques qu’explore avec finesse Shungiku Uchida, tout en y ajoutant une dimension coquine finement dosée.
Dans un registre complètement différent, beaucoup plus flyé et trash, La jeune fille au Camélias de Suehiro Maruo met en scène Midori, une fillette de douze ans qui, suite à l’abandon de son père et la mort de sa mère, se retrouve bonne à tout faire dans un cirque ambulant. Une bande de freaks à la sexualité débridée dévergondent la pauvre Midori dans une cruauté poussée à l’extrême. C’est la barbarie qui règne en maître dans ce lieu presque maudit. Entre des culs-de-jatte vicieux, un manchot tricard, un patron peu honnête, une femme-serpent et une jongleuse perverse ; Midori semble, comme Chiyomi, devoir trouver sa place et sortir brutalement de l’enfance. Arrivé tel un miracle, un étrange nain télépathe va l’aider à se découvrir femme… et à en accepter les nombreux sacrifices.Difficile de ne pas éprouver une étrange sensation de vertige en lisant La jeune fille au Camélias, tourbillon hallucinatoire brouillant toute frontière entre rêve et réalité. On plonge en plein burlesque dans ce récit qui oppose la beauté et l’innocence de Midori à la laideur et à la cruauté d’êtres difformes aux âmes tordues et perverses. On est loin de l’ironie et des clichés, dans une orgie d’images morbides qu’entrecoupent des pages à saveur presque idéaliste, romantique, qui permettent entre autre à Suehiro Maruo d’illustrer à merveille le thème du voyeurisme.
De la classification « manga érotico-gore » à l’envie de protéger les lecteurs en leur déconseillant la lecture d’un récit à l’ambiance malsaine et cauchemardesque, il n’y a qu’un pas. Pourtant, j’ai envie de vous conseiller la lecture de ce récit excellemment dessiné, fascinant et délirant, qui vous forcera à vous éloigner un peu du quétaine, du rose et des paillettes langoureuses traditionnelles de la Saint-Valentin, autre type de cauchemar auquel il est, ces jours-ci, plus difficile d’échapper.