Aller au contenu

Sortir de la noirceur

Dans Les Aveugles, Denis Marleau résume les questions existentielles de l’humanité. en mettant en scène les mots de l’écrivain Maurice Maeterlinck.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

La pièce vient boucler la boucle après avoir parcouru le monde pendant 10 ans, après sa création en 2002 au Musée d’art contemporain de Montréal par le Théâtre UBU.

Le spectateur pénètre dans une salle carrée plongée dans le noir, avec comme seule source d’éclairage les visages projetés des comédiens Céline Bonnier et Paul Savoie. Ils sont à la fois irréels, tels des fantômes flottant dans les airs, et réalistes, tant on croirait à la présence physique des acteurs grâce à la technologie 3D conçue par la collaboratrice artistique Stéphanie Jasmin. Les deux acteurs incarnent à eux seuls douze personnages aveugles égarés de leur hospice situé sur une île isolée.

Photo Richard-Max Tremblay
Les femmes et les hommes sont installés face à face, perdus dans la forêt après que le prêtre qui les accompagnait eut disparu. Les masques des acteurs ne bougeant nullement durant la pièce, le procédé aurait pu être d’un statisme laborieux, mais le spectateur s’accroche plutôt d’une bouche à l’autre, hypnotisé par les répliques qui rebondissent comme sur un court de tennis.

C’est donc sur une « scène » dépouillée de toute matérialité que surgissent les mots, vrais protagonistes de la représentation, qui, de toute leur cérébralité, arrivent toutefois à faire remonter des sentiments viscéraux à la surface, comme la crainte reliée à l’incertitude inhérente à la vie, à  l’inconnu, à la perte des repères : « il faudrait savoir où nous sommes », dit un des Aveugles, alors que le groupe tente de choisir entre attendre sur place les secours qui ne viendront pas, ou à se mettre en marche pour trouver de l’aide.

Chaque réplique de la pièce issue du mouvement symboliste et écrite en 1890 par Maeterlinck fait partie d’une allégorie sur les questions communes que se pose tout humain. À savoir, d’où il vient et le pourquoi de son existence. Denis Marleau réussit aussi à monter une habile tension dramatique pour la « petite » histoire. On perçoit aisément les discordes entre les membres du groupe, qui n’arrivent pas à se cerner, tant mentalement que physiquement.

Bonnier et Savoie sont excellents dans leur performance respective, contraints à l’immobilité mais aux inflexions de la voix et aux traits du visage expressifs. Grâce à leurs accents et leurs tons de voix différents, on pourrait soupçonner être face à différents acteurs. L’environnement sonore simule les bruits qu’on pourrait percevoir sur une île sauvage, de façon néanmoins impressionniste, laissant place à l’imagination.  Pour le spectateur, il s’agit aussi d’une expérience immersive à la croisée du théâtre et du cinéma, où, déstabilisé comme les Aveugles, les sens en alerte, il tente de déchiffrer les sons qui l’entourent et de ressentir les mêmes touchers sur la peau.

Les Aveugles, abandonnés par leur guide quoique perdus par leur propre faute, veulent retrouver le confort de la banalité de leur existence, mais ils doivent finalement affronter la finitude des hommes. Ainsi, les aveugles, ce sont nous tous, devant la tâche tragique qu’est d’apprendre à mourir.


Articles en lien