Un article de Lise Payette, probablement. Une des choses qui m’a semblée absente dans la tornade médiatique qui a précédé et suivi la célèbre journée internationale de la femme est la question de l’humour. Je ne parle pas de cet humour bien connu et présent dans nombre de satires activistes comme les Monologues du vagin, mais plutôt un autre type d’humour, moins engagé semble-t-il, qui ne cherche pas à encenser la femme, mais plutôt à la traiter comme n’importe quel autre sujet : un être ridicule, bourre de défauts comiques et exaspérants.
C’est en quelque sorte ce à quoi travaille Tina Fey, auteure et comédienne de la série américaine 30 Rock. Lorsqu’on lui pose la question de la signification sur le plan féministe de sa nomination en 1999 au poste de scénariste principale (head-writer) à l’émission Saturday Night Live –la première nomination féminine depuis la création de l’émission en 1975– celle-ci répond humblement que cette nomination était plus circonstancielle qu’engagée. La plus jeune lauréate du Mark Twain Prize for American Humor en 2010, Tina Fey est l’une des femmes humoristes les plus respectées, et son autobiographie Bossypants, ainsi que son personnage de Liz Lemon dans 30 Rock, soulignent la capacité de la comédienne à unir humour et réalité féminine.
Dans Bossypants, publié en 2011, Tina Fey porte un regard à la fois touchant et ridicule sur le chemin qui la mènera de jeune fille maladroite à l’apparence vaguement masculine (« an achievement-oriented, obedient, drug-free, virgin adult »), au sex-symbol aux lunettes de secrétaire que nous connaissons aujourd’hui, représentante involontaire d’une nouvelle vague d’humoristes qui comprend entre autre Amy Poehler, Kristen Wiig et Sarah Silverman. Ce qui frappe d’abord dans Bossypants est le ton « non justificateur » utilisé par Fey, passée maître dans l’art de rire d’elle-même, pour raconter ses différentes expériences.
La thèse générale de son livre, s’il en est une, pourrait être résumée par la phrase suivante : « Do your thing and don’t care if they like it ». Pour Fey, qui reconnaît toutefois avoir fait son entrée dans le milieu à un moment où les mentalités étaient déjà en train de changer, le meilleur remède au sexisme demeure le travail. Ce n’est pas dire que Fey (ni moi d’ailleurs) ne soit contre l’action militante féministe, mais plutôt que le travail concret semble d’une certaine manière plus efficace que la lutte sur le plan des idées, ou des lois.
Dans cette perspective (et de manière un peu affectée), Bossypants me rappelle un passage du deuxième tome du journal du polonais Witold Gombrowicz concernant la quête identitaire artistique de l’Argentine, son pays d’adoption : « Il est stupide de penser qu’on peut se constituer une nationalité en suivant un programme. Elle doit venir d’elle-même. Comme la personnalité à l’échelle individuelle. »
Cette réflexion peut s’appliquer selon moi à l’identité féminine. Celle-ci trouve en réalité sa force dans les individus, qui, comme Tina Fey le fait avec son humour, ne parlent pas au « nous » mais au « je », participant ainsi à créer une identité plus authentique, plus solide, qui ne repose plus sur les lois, mais sur une réalité concrète.