Les Intouchables, sorti le 2 novembre 2011 en France, cumule presque 20 millions d’entrées, et s’est hissé au troisième rang de toute l’histoire du box-office français, juste derrière Titanic et Bienvenue chez les Ch’tis. Le film raconte l’histoire vraie de Philippe, un riche aristocrate qui, à la suite d’un accident qui l’a rendu tétraplégique, engage comme aide à domicile Driss, un jeune banlieusard en réinsertion sociale. Leur deux univers se rencontrent pour donner naissance une histoire d’amitié inattendue. Le Délit rencontre François Cluzet, l’un des acteurs du film pour la première au Canada.
Le Délit : Comment vous êtes-vous préparé pour le film ?
François Cluzet : On est allé voir Philippe Pozzo di Borgo, le tétraplégique qui a vécu cette histoire pendant dix ans avec son auxiliaire de vie. C’était stupéfiant. Le film lui ressemble dans beaucoup d’aspects ; cet homme a un caractère hors du commun. Il a décidé d’être positif alors qu’on peut se douter qu’il souffre. Pour lui, l’humour était la bonne façon d’aborder le sujet.
LD : En quoi ce rôle était-il un défi ?
FC : Je ne suis pas un acteur cérébral ou intellectuel ; je suis plutôt un acteur physique, mais j’étais cloué à ce fauteuil à ne pas pouvoir bouger. Cela n’empêche pas de sourire, d’avoir de l’esprit, de partager une culture. Le défi était aussi de penser que la nature a horreur du vide et qu’on ne pouvait pas compenser l’immobilité du corps par des mouvements de tête. Tout passait uniquement par le regard.
LD : La complicité qu’on perçoit à l’écran entre Omar Sy et vous existait-elle aussi dans la vie réelle ?
FC : Oui, voilà ! Grâce à mon partenaire, je devenais un spectateur, un partenaire de sa facétie, de sa fantaisie. C’est une belle histoire d’amitié. Omar est quelqu’un de très ouvert, de très généreux et ça m’est plus facile de parler de lui que de parler de moi.
LD : Est-ce que vous pensez que le film va autant toucher les Québécois que les Français ?
FC : C’est un film qui va facilement dépasser les frontières. Il a été très bien accueilli en Allemagne. Il nous dépasse, et ce n’est pas à cause des acteurs, du scénario ni de la production. C’est une comédie de fond. Normalement les comédies sont un peu superficielles, mais là on a une comédie profonde. Peut-être que c’est un genre un peu nouveau ; en tout cas c’est assez peu fréquent.
LD : Est-ce que vous avez peur de l’accueil du public étatsunien ?
Olivier Nakache : Peur ? Non, pas du tout. Au contraire, j’ai envie que le plus de Noirs américains possible voient le film.
FC : Je suis impatient mais je n’ai pas peur. Je le dis en toute modestie, le film nous dépasse, nous les acteurs. Le film est réussi ; ça ne veut pas dire qu’il plaira à tout le monde mais il est fluide, c’est une comédie de fond, ce qui nous change des comédies françaises qu’on a l’habitude de voir où on se fout simplement de la gueule de l’autre.
LD : Et ce malgré que le film ait été accusé de racisme par un critique américain ?
FC : Évidemment, ils n’ont pas remarqué ça, mais je pense que c’est culturel. Il faut savoir qu’en France le racisme n’existe que très peu. Il est évidemment stigmatisé par un parti politique qui fait des choux gras avec, mais le Français n’est pas raciste ni antisémite.
ON : À propos de la critique, il y en a une qui a été vue avec des yeux d’Américains très attachés aux valeurs américaines. En France on a une histoire différente. De ne pas avoir compris ça, c’est carrément naze. Il faut dire que le critique a dit « c’est le fort Blanc qui assouvi le faible Noir », alors que Jean-Marie Le Pen a dit l’inverse : « c’est le fort immigré qui sort le Blanc ». Chacun y voit quelque chose. Je pense que le critique n’aurait pas écrit ça après vingt millions d’entrées. Il n’y a que sur le territoire américain qu’on nous demande pourquoi on a pris un Noir pour le rôle d’auxiliaire de vie, alors que le vrai est arabe. On a pris un Noir parce que ça fait dix ans qu’on travaille avec Omar et que pour nous c’était le seul qui pouvait avoir le rôle. Cela dit, on a fait deux projections à New York et ça a été super. J’attends les retours avec impatience. Je mise sur l’intelligence des gens.
LD : Vous étiez à New York pour la représentation ?
FC : Oui, on en arrive. Ça s’est très bien passé. Des handicapés, hélas, il y en a dans tous les pays, mais ça touche tout le monde parce que parfois ce n’est pas des handicaps aussi lourds que la tétraplégie. Parfois, il y a des handicaps émotionnels : vous perdez un enfant, un parent, vous êtes simplement vulnérables et vous vous retrouvez handicapés. On est tous un peu handicapés quelque part. C’est l’histoire d’une vie, c’est notre histoire.
Propos recueillis par Fanny Devaux et Marie de Barthès.