Samedi dernier, à la Librairie Verdun, Michel Rabagliati, célèbre auteur de la série en bande dessinée Paul, proposait une séance de dédicaces.
Sur place, un groupe homogène d’intellos à lunettes bavarde de la chic qualité de vie de ce quartier émergeant. D‘ailleurs, on dirait une réunion familiale, puisque chaque nouvel arrivant est accueilli par propriétaire et clients avec des exclamations de joie et des embrassades.
L’ambiance est calme et les admirateurs passent tour à tour faire autographier leur exemplaire de Paul au Parc, dernier opus de la série, où le héros retrouve ses 10 ans. Touchante histoire sur le scoutisme et la crise d’Octobre 1970, Michel Rabagliati esquisse généreusement un croquis de Paul dans ses habits de scouts sur chaque exemplaire présenté par son public. Et tous en profitent pour lui raconter une anecdote personnelle reliée à l’œuvre. L’un d’entre eux est déjà allé à la pourvoirie de Paul à la pêche. Son camarade renchérit en disant qu’il a vécu tout près de son premier appartement dans les années quatre-vingt. Une autre lui offre une bouchée sucrée et raconte comment elle a relu la série en entier la semaine dernière. Tout ça, sous le regard patient et bienveillant de l’auteur, qui commente allègrement les propos.La séance se termine et Michel se retourne vers moi. Le propriétaire de la libraire lui indique que je suis un étudiant du journal français de McGill. Il m’invite à approcher, autographie mon bouquin et accepte de m’accorder une entrevue.
D’abord, et cela était presque inévitable, le sujet des séances de dédicaces est abordé. Un élément le surprend toujours lors de ces exercices et c’est le nombre de personnes qui lui disent avoir pleuré en lisant Paul à Québec. Phénomène récurent, cela étonne l’auteur puisqu’il avoue avoir du mal à se rappeler la dernière œuvre ayant eu un effet aussi puissant sur lui.
Toutefois, il dit lui-même avoir trouvé l’écriture de cette bande dessinée difficile au plan émotionnel, étant donné que la trame narrative est entièrement tirée d’une expérience familiale : la mort de son beau-père.
Ensuite, la conversation dévie vers ses intentions d’auteur. Il acquiesce lorsque je lui demande si la série dresse un portrait représentatif de la société québécoise des années soixante-dix à aujourd’hui. Pour lui, raconter les différentes périodes de sa vie personnelle, de son quotidien tranquille, c’est aussi raconter l’histoire de ces milliers d’autres personnes qui marchent, suent, aiment et vivent dans les rues de Montréal. Son succès s’étend aujourd’hui dans toute la francophonie, comme le montre le Prix du public gagné au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Traduit dans plusieurs langues, ce n’est que le début pour cette série québécoise.
Puis, Michel me parle de ce qui l’inspire. Série autobiographique à peine romancée, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il puise énormément d’idées dans les moments forts de sa vie. Voulant séduire le lecteur, il ne se censure pas néanmoins et plonge dans les souvenirs les plus pénibles de sa vie pour réussir à produire une œuvre honnête. Et c’est là que réside tout le succès de son entreprise. En parlant avec conviction de ce qui l’anime, il réussit à rejoindre l’Autre jusque dans ses plus profonds retranchements, à créer une magie unique, une chimie à la fois simple et complexe.
J’ai assez abusé de sa bonté. Il me remercie et me serre la main. Foulard autour du cou, je m’apprête à partir lorsque j’assiste à une scène amusante. Le libraire propose de lui offrir une suite de romans et Michel, d’un air sérieux, les rejette l’un après l’autre : trop policier, écriture désagréable, déjà à la maison… À la fin, il jette son dévolu sur La tendresse attendra de Matthieu Simard. Bon à savoir.