Qui n’a pas déjà entendu dire que tous les opéras représentaient toujours la même histoire d’amour tragique qui finit toujours de la même façon, c’est-à-dire par la mort interminable des protagonistes qui prennent plusieurs bonnes minutes à rendre leur dernier soupir ? L’avantage d’une représentation mettant bout à bout quatre actes finaux parmi les plus connus de l’histoire de l’opéra, c’est qu’elle permet de mettre en évidence, de façon presque ironique, les caractéristiques communes d’un genre musical que la culture populaire contemporaine ne se lasse pas de parodier. Le directeur des études d’opéra Patrick Hansen ne s’est d’ailleurs pas privé d’une remarque allant dans le sens de cette satire, lorsqu’il a fièrement déclaré que l’école de musique Schulich avait tué pas moins de dix personnages cette année. Une liste de morts certes impressionnante, mais dont certains, il faut dire, ne figuraient pas dans le livret original.
Il est vrai que, parmi le programme musical présenté au Redpath Hall samedi dernier, seul Falstaff faisait exception à la règle avec sa fin joyeuse, juste après Othello, Rigoletto et La Traviata. Inspirés de tragédiens romantiques ou préromantiques (c’est ainsi que Victor Hugo qualifie Shakespeare dans La Préface de Cromwell), ces opéras reflètent bien entendu des aspects de l’esthétique de l’époque, comme celui de l’alliance hugolienne du sublime et du grotesque dans laquelle la pureté franchement stéréotypée de certains personnages contraste comiquement avec les vices des autres.
Néanmoins, contrairement à une représentation traditionnelle dans laquelle une mise en scène, des décors, des costumes et des sous-titres permettent de suivre l’opéra exactement comme une pièce de théâtre, le Four Verdi Final Acts ne se prêtait pas du tout au même type d’interprétation qu’un drame romantique. Véritable hommage musical à Verdi, le spectacle de samedi dernier accordait au compositeur une place privilégiée, et tout particulièrement à ses partitions vocales, dont l’accompagnement au piano mettait en évidence l’extraordinaire originalité, à côté de laquelle les spectateurs d’une représentation complète passeront. Pourtant, Verdi accordait une grande importance au rôle de la voix dans ses compositions, au point de militer pour que l’orchestre ajuste l’accord de ses instruments selon un registre parfaitement adapté à la voix humaine établissant la note la à 432 Hertz, ce qui ne se fait malheureusement plus aujourd’hui dans certaines des salles les plus connues du monde.
Signalons tout de même que les quatre actes n’étaient pas entièrement dénués de travail dramaturgique. Si l’acte III de La Traviata était plutôt statique, chose impossible à éviter lorsque les chanteurs ont droit à leurs partitions, la scène finale de Falstaff frappait au contraire par sa vitalité. La salle était en effet plongée dans l’obscurité, tandis que les visages des dix personnages de cette comédie romantique n’étaient éclairés par des lampes torches que lorsque ces derniers commençaient à chanter. Pendant que Tracy Cantin échangeait les habits de soirée de la mondaine Violette contre la robe de chambre de l’innocente Desdémone, un quatuor exécutait avec humour Bella Figlia Dell’Amore, l’un des airs les plus connus de Rigoletto, dans lequel le duc de Mantoue courtisait insoucieusement la fille de son assassin sous les yeux ahuris de son amante Gilda et de son père le bouffon. Au final, seule la longue inquiétude de Desdémone dans Othello manquait véritablement de dynamisme.