Mmm… ces vacances exotiques et sportives dans les Andes : sympa… Le vol : un peu cher, c’est vrai, mais le voyage valait vraiment le coup ! Les souvenirs à rapporter ?
Pulls d’alpaga, bijoux d’argent, deux-trois tissus d’aguayos éclatants et, tant qu’à faire… quelques petits sachets de feuilles de coca à distribuer, pour épater les amis.
Le hic, ce sont juste ces quelques mots qu’on n’a pas lus sur le site du Ministère des Affaires Etrangères consacré à la Bolivie : « Les peines encourues en cas d’importation vers l’étranger peuvent aller jusqu’à cinq ans de prison, quelle que soit la quantité de feuilles importées. Il est recommandé de ne pas voyager avec des sachets d’infusion de coca, même si vous pouvez en acheter à l’aéroport de La Paz ». Aïe…
n janvier 2012, la Bolivie se retire de la « Convention unique sur les stupéfiants » de l’ONU signée en 1961. « L’Etat Plurinational de Bolivie » se voyant refuser par les pays signataires la dépénalisation de la mastication de la feuille de coca (acullico), il se retrouve seul dans sa lutte pour la reconnaissance de ses droits traditionnels.
Mama Coca, aimante et bienveillante
La Bolivie, comme d’autres pays du cône sud, entretient avec « la feuille sacrée » une relation multimillénaire. Mama Coca, fille de la toute puissante et créatrice Pachamama – la Terre Mère -, tient un rôle central dans la société depuis la civilisation ancestrale des Tihuanacotas jusqu’à, par la suite, celles des Incas de l’Altiplano. Elle guérit de tous les maux, soigne toutes les blessures. Elle soulage même la fatigue et la faim. A l’arrivée du colon espagnol sur le continent, elle fut interdite par l’Eglise qui l’associa rapidement au Tio, équivalent syncrétique du diable.
La main‑d’œuvre africaine issue du commerce triangulaire, puis amérindienne, ne survit pas au climat glacé aride du « Haut Pérou » : la montagne de Potosi, dont le labyrinthe de mines à cinq milles mètres regorge d’argent, engloutira les mineurs par milliers : certaines estimations montent jusqu’à six millions. La Couronne espagnole se hâte de remettre la mastication de la feuille de coca au goût du jour. En effet, les mineurs à la peau de cuivre, habitués qu’ils sont aux rudes travaux dans les hauteurs inhospitalières, la réclament pour pouvoir supporter leur peine. C’est à leur robustesse et à leur aptitude à survivre dans les chatières que les indigènes de Bolivie devront de ne pas être décimés comme les Tainos des Caraïbes ou les Guaranis d’Argentine. Ils doivent donc en partie leur survie à la feuille de coca…
La feuille de coca diabolisée
C’est au XIXème siècle que le statut de la feuille de coca bascule de nouveau. Au travers de son dérivé, l’erythroxyline, on lui découvre tout d’abord des vertus d’anesthésiant local, utilisées par les médecins occidentaux. Rapidement, elle devient un substitut à l’opium, à l’alcool et aux autres stimulants d’usage récréatif de l’époque.
C’est à partir de 1961, avec la Convention Unique sur les Stupéfiants de l’ONU que la coca tombe dans l’illégalité, en raison de son association avec la poudre d’alcaloïdes, qui sera désormais désignée par le terme « cocaïne ».
Pourtant, Mama Coca, sous sa forme première, ne quittera jamais les marchés andins : le paysan gagne mieux avec la feuille de coca qu’avec le café ou la banane ! Les cartels s’emparent de ce juteux marché, s’associant parfois officieusement avec des politiciens locaux. La demande ne fera que croître pendant les années 70–80 : c’est l’âge d’or de la feuille verte ! C’est le début, également, d’une ère de violence inouïe, de part et d’autre, abondamment illustrée par le polar ou le cinéma, de Scarface à Blow, ou La Reina del Sur.
Depuis les années 2000, la violence ne fait qu’augmenter, du Mexique aux pays andins, pour subvenir aux besoins de l’énorme marché nord-américain. Les civils sont les premières victimes de la lutte féroce dans laquelle les groupes se sont engagés pour maîtriser le marché, de la source au client. Des cartels sanglants, comme celui de Sinaloa au Mexique, recrutent des enfants de force, n’hésitant pas à faire de ceux qui refusent de collaborer des exemples pour les autres (kidnappings, mutilations…).
Evo et la science au secours de la coca :
Dans ce climat brutal, dans un contexte d’augmentation exponentielle de la demande de cocaïne, les défenseurs de la mastication traditionnelle de la feuille de coca peinent à plaider leur cause, malgré l’arrivée au pouvoir d’un syndicaliste cocalero, le président indigéniste bolivien, et en dépit des interventions de ses ambassadeurs, dûment mandatés, au nom de la « protection de la diversité culturelle ».
A Vienne, en mars 2009, à la conférence de l’ONU sur les stupéfiants, Evo Morales Ayma mâche des feuilles de coca, tout en prononçant son discours devant l’assemblée, affirmant que La coca no es cocaina ». Certes, si pour les spécialistes, il y a loin de la feuille verte à la poudre blanche, la confusion entre coca et cocaïne reste fréquente pour le profane.
La science va servir la cause indigéniste en analysant les effets de la prise de coca sur le corps humain. Lors d’une conférence donnée en 2010 à La Paz, le Dr. Mercedes Villena, chercheuse à l’Institut bolivien de Biologie de l’Altitude, présente les résultats de ses recherches sur les effets de la feuille de coca. D’après ses conclusions, la substance n’agit en fait ni comme coupe-faim, ni comme substitut alimentaire, ni comme source d’énergie permettant de porter des masses plus lourdes. Le seul effet identifié scientifiquement porte sur les fonctions respiratoires. Le consommateur montre en effet une plus ample capacité de respiration, la perméabilité de ses bronches s’améliorant. Ainsi, ce remède naturel, mâché ou bu en maté dans les hauteurs andines, allège le sort du travailleur en l’aidant à supporter sa peine. La feuille de coca, pourtant, intéresse moins la communauté scientifique que… les fabricants de sodas, les recherches de ses effets sur les systèmes cardiovasculaire et neurologique manquant encore pour soutenir les propos d’Evo Morales.
Zorka Domic, psychologue, auteur de l’ouvrage Etat Cocaïne, paru aux Presses Universitaires de France, révèle une société bolivienne partagée entre culture traditionnelle et celle des conquérants, ou immigrants occidentaux. « Deux cultures composent l’essentiel de la trame du tissu socioculturel, politique et économique de la Bolivie, elles forment d’une certaine façon l’identité du pays. L’interaction des cultures constitue une constante, du fait du caractère multiethnique de la société. Nous côtoyons ainsi quotidiennement l’usage traditionnel de la feuille de coca qui imprègne le mode de vie […] Le groupe dit « occidental » a ménagé une place pour cette feuille (Nuestra coca) Ainsi, même les populations dont les traditions n’incluaient pas la coca, intègrent totalement son image maternelle et inoffensive. Boire du maté de coca, l’utiliser lors d’une ch’alla ou en posséder dans son armoire à pharmacie devient donc courant dans tout foyer bolivien ».
Felipe Cáceres, vice-ministre de la Défense Sociale, assure que 62,2% des Boliviens ont pour habitude de mastiquer. La Bolivie, contrôlée par les pays étrangers, les Etats-Unis et l’Union Européenne, autorise la culture de la coca sur 12 000 hectares pour les « usages traditionnels ». L’objectif des politiques serait d’obtenir la permission de la communauté internationale afin que 8 000 autres hectares puissent exister afin d’alimenter la demande du pays. D’après la Convention, tout autre mètre carré où pourrait se trouver un pied de cocaïer est totalement illégal. Les propriétaires sont passibles d’amendes et même d’incarcération si l’ombre du doute plane sur l’usage final des feuilles récoltées.
La constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, adoptée en 2009 au suffrage universel avec 60% des voix exprime pourtant clairement la position du gouvernement bolivien. L’article 384 affirme que « l’Etat protège la feuille de coca originaire et ancestrale comme patrimoine culturel, ressource naturelle renouvelable de la biodiversité de la Bolivie et comme facteur de cohésion sociale ; dans son état naturel elle n’est pas un stupéfiant. La revalorisation, production, commercialisation et industrialisation seront régies par la loi ».
La coca, à jamais condamnée ?
La Chine, qui coopère en Bolivie, est le seul pays ayant un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU à avoir montré un peu de soutien à la requête du président bolivien. Elle a même comparé la place de la coca dans la société bolivienne à celle du thé chinois, ridiculisant donc l’illégalité de la feuille. L’Union Européenne, quant à elle, subventionne à grands frais des études sur des cultures alternatives à la feuille de coca. Peu de fonds étant consacrés à ses usages médicamenteux éventuels. Les pays occidentaux ne semblent d’accord sur ce sujet ni entre eux ni avec la Bolivie.
Verra-t-on une dépénalisation de la production la feuille de coca au niveau international ? La raison du plus fort étant toujours la meilleure… rien n’est moins sûr ! Et pourtant, n’est-il pas suffisant, pour en démontrer l’innocuité, de rappeler le rapport de la matière base à son dérivé ? Il faut trois kilogrammes de feuilles de coca pour extraire un seul gramme de cocaïne, au prix d’un processus long et compliqué de raffinage, aisément repérable, où l’on mélange kérosène, chaux, acide, éther, acétone, permanganate de potassium, ammoniaque et alcool concentré, entre autres précurseurs chimiques.
Mais alors cette classification du cocaïer parmi la liste des stupéfiants n’est-elle pas quelque peu arbitraire, les mauvaises pratiques étant toujours les pratiques de l’autre, en matière de drogue comme ailleurs ? Ni le raisin des vignobles, ni les plants de tabac n’ont été déclarés illicites, et pourtant l’addiction que produisent leurs dérivés peut être comparée.
C’est qu’il faudrait savoir discuter au niveau international, de façon parallèle, mais distincte, de deux questions différentes, parfois liées : celle de la culture de la feuille de coca et celle de la production et de l’exportation de la cocaïne.
Les cocaïnomanes, très majoritairement, se trouvent en Amérique du Nord et en Europe. Ne sont-ils pas directement, responsables des conséquences que leur addiction provoque dans les pays du sud : la corruption des uns, la misère des autres et la violence extrême qu’engendre le prix exorbitant qu’ils sont prêts à dépenser pour assouvir leur besoin ?
Les gouvernements occidentaux semblent cependant considérer le phénomène de civilisation qu’est la cocaïnomanie comme un problème relevant davantage des pays du sud que de leur propre responsabilité. En matière de stratégie anti-narcotique, en tout cas, ils privilégient la solution du tarissement de l’approvisionnement en matière première de base dans le tiers-monde. Ils délèguent ainsi la lutte ingrate contre les trafiquants et ne s’impliquent qu’indirectement, par des experts et des subventions. A titre d’exemple, on mentionnera les 500 millions de dollars déboursés par les Etats-Unis pour la répression du narcotrafic en Amérique latine durant la dernière décennie.
Cocaïne, or not coca ?
Comment donc légaliser ce produit ailleurs qu’en Bolivie, pour produire des médicaments ou autre ? Faut-il donner à l’Etat le monopole de culture ? Le cas de Noel Kempff-Mercado (cf. encadré), laisse planer le doute sur l’honnêteté de certains gouvernements. Si les fonctionnaires d’état et de police étaient mieux payés, peut-être n’iraient-ils pas chercher l’argent facile auprès du narcotrafic ?
La question de l’avenir de la coca reste entière et ne peut être réduite à de simples antagonismes : tolérance contre régulation, protection des cultures contre protection des consommateurs… Mais, en ces temps de mondialisation juridique et de recherche de particularismes perdus, elle est emblématique. Comme celle du qat au Yémen, de la corrida en Catalogne, des combats de coqs ou…comme récemment, du foie gras en Californie.
Que dirions-nous, en effet, si le Qatar, l’Arabie Saoudite, ou tout autre faisaient pression à l’ONU, jouant de l’arme pétrolière, afin d’ajouter le vin à la liste des substances illicites ? Et que dirions-nous… s’ils s’en prenaient au raisin ?
Petit lexique, pour mémoire
La hoja sagrada : La feuille sacrée, nom traditionnel donné à la feuille de coca.
Acullico : mot désignant l’action de mastiquer la feuille de coca.
Ch’alla (aspersion): cérémonie religieuse où l’on verse de manière symbolique de la bière ou tout autre alcool en remerciement à la Terre Mère. Elle peut avoir lieu durant une inauguration, à l’achat d’une voiture, etc.
Chuspa : petit sac fait de tissu de laine de lama ou de mouton. Il contient les feuilles de coca et afin qu’elles soient à portée de main, il est en bandoulière la plupart du temps.
Llujkta : pâte à base de cendre de végétaux qui se mélange avec la feuille de coca. Elle sert à activer les alcaloïdes qui sont au nombre de quatorze, dont la cocaïne qui ne représente même pas 1%.
Maté de coca : boisson traditionnelle en infusion de feuilles de coca
« Convention Unique sur les Stupéfiants de 1961 » ou « Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Indigènes » ? Telle est la question…
Comment se faire un avis sur la feuille de coca alors que deux conventions internationales soutiennent légalement leur cause en se contre- disant ? En effet la Déclaration de l’ONU sur les droits des Peuples Indigènes donne aux peuples autochtones le droit « d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes » (Article 11). Qu’est donc la mastication de la feuille sinon une tradition héritée des cultures ancestrales ? Pourtant, la Convention sur les Stupéfiants stipule que « la mastication de la feuille de coca devra être abolie dans un délai de vingt-cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente Convention », c’est-à-dire depuis 1986. Entre conventions internationales et réalité, le décalage est évident. Cette différence est à l’origine des énormes malentendus entre les camps, qui, malheureusement ne semblent pas prêts à faire de concessions.
Noel Kempff-Mercado
Naturaliste bolivien, il fut tué par des narcotrafiquants lors de sa découverte d’une raffinerie de cocaïne dans le parc de Huanchaca en 1986. La lenteur de l’opération de secours avait été incroyable face à la vitesse de démantèlement de l’usine. Fernando Barthelemy, le ministre de l’intérieur de l’époque fut jugé pour corruption. Ce ne fut pas la première fois et encore moins la dernière.