La grammaire évolue ; elle est muable et sujette à l’utilisation qu’en font les locuteurs. Chacun sait que la grammaire du français est complexe, sinon absconse ; mais ce que nous apprend le petit livre Voulez-vous valser grammaires?, c’est que même les spécialistes de la grammaire, les linguistes et autres agrégés de la chose, ne sont pas d’accord sur la façon même de nommer ou de classer.
Est-ce qu’on parle de nom ou de substantif ? Si l’on jette un œil dans la grammaire de Port-Royal de 1660 on apprend qu’il existe deux types de noms : les noms substantifs et les noms adjectifs. C’est leur essence qui les distingue. Le nom substantif est essentiel, le nom adjectif ne l’est pas. Vous avez compris ? Moi non plus. Ah ! Ça y est ! Ce qu’on appelait nom adjectif est devenu adjectif qualificatif. Mais quel est le rapport avec l’essence ? Il faut être un peu philologue pour définir ce mot-là.
Aujourd’hui, on classe toujours les noms en deux catégories : les noms communs et les noms propres. Mais pourquoi ? Ne sont-ils pas tous deux des noms substantifs ? La plupart des livres de grammaires font la différence entre les deux parce qu’ils répondent à des règles différentes. Ils sont tous d’accord pour dire qu’un nom propre prend une capitale (c’est-à-dire une majuscule à la première lettre du mot). Par contre, quand il s’agit du nom commun, rien ne va plus. Beaucoup de grammairiens en mettraient leur main à couper au feu : devant tout nom commun, il faut un déterminant. Ce qui prête à confusion. Vous l’aurez remarqué, pas de capitale, pas de déterminant.
Qu’ouis-je ? Aurais-je parlé de déterminant ? Qu’est-ce ? Là encore, pas de définition qui fasse consensus. Vous entrez dans une zone contrôlée par la nouvelle grammaire. Contrairement à la nouvelle orthographe, codifiée par l’Académie française en 1990, que personne n’utilise ou presque, la nouvelle grammaire est un vague concept qui englobe tout ce qui c’est passé en grammaire depuis Louis-Nicolas Bescherelle. Le déterminant, en gros, est une classe grammaticale (certains disent catégorie) qui comprend les articles et les adjectifs non-qualificatifs.
Vous voyez ce que je viens de faire ? J’ai défini les déterminants, en tentant de classer ceux-ci par nature, par opposition aux adjectifs qualificatifs, qui eux-mêmes sont définis par opposition aux substantifs, sans avoir expliqué ce qu’était la substance. Autant faire trois tours sur soi et crier abracadabra. C’est ce que font tous les manuels de grammaire.
Comment peut-on enseigner encore aujourd’hui une grammaire qui ne correspond pas à la langue que nous parlons et que nous écrivons ? Comment peut-on enseigner une grammaire sans définir les concepts qu’elle implique ? Comment un apprenant du français peut-il comprendre ce qu’on lui enseigne quand l’enseignant ne comprend pas lui-même ? Je crois qu’il est temps pour les locuteurs du français d’accepter le fait que leur langue n’est pas celle contenue dans les livres, qui énumèrent des règles innombrables et contradictoires.
En somme ce petit livre est un condensé de « grammaticologie ». On apprend surtout à ne pas croire tout ce qu’on lit dans un livre de grammaire. Ce que j’en ai retenu, c’est qu’on devrait arrêter avec la grammaire prescriptive, et tenter de nous ouvrir un peu à la grammaire descriptive. Je vous laisse deviner ce que ça veut dire.