Récemment on m’a dit :
« I went to UQAM yesterday, and spoke in French the whole time and nobody switched to English.» Ça m’a donné à réfléchir. Il est vrai qu’on entend beaucoup de français sur le campus, étant donné l’importante minorité francophone de l’université. McGill compterait environ un cinquième de francophones la plupart n’ayant jamais étudié en anglais avant d’appliquer.
Vous m’aurez tous compris. Pourtant, je n’ai pas dit « postuler », mais bien « appliquer ». C’est là la caractéristique principale du parler mcgillois. On utilise des mots bien anglais, qu’on francise dans leur forme et qu’on prononce avec notre accent. Qui n’a jamais parlé d’avoir un papier à rendre ? Souvent on pense à cet endroit plein de livres où il fait bonne figure d’aller au moins une fois par mois et on dit « librairie », avant de se rattraper ; quand on n’«assume » pas carrément au lieu de supposer, de prétendre, de tenir pour acquis. Même si l’on prend grand soin de limiter ces incongruités, apprenant à les déceler une à une, il est bien difficile de n’en pas laisser échapper chaque jour.
Le fait est que nous sommes exposés à l’anglais bien plus que d’autres. Nous sommes immergés dans une communauté qui prend très au sérieux son rôle de défenseur de la langue anglaise à Montréal, une communauté que nous avons choisie, une langue que nous parlons tous très bien. Il est tout aussi vrai que nos compères mcgillois parlent maladroitement notre langue, malgré leurs efforts, et que nous sommes encleins à parler la leur. À quoi bon ne pas faire au plus simple, quand il est une langue dans laquelle on communique plus facilement ?
On pourrait se faire la même réflexion sur des conversations entre francophones. Il arrive souvent qu’il soit plus facile de se faire comprendre en anglais. « Course » est plus précis que « cours », et les exemples ne manquent pas. Pour ceux qui passent le meilleur de leur temps libre avec des anglophones, c’est l’anglais qui prime. On en vient à parler en anglais à tout le monde. C’est de cette façon que j’ai rencontré une de mes amies ; après plusieurs soirées passées ensemble, il a fallu qu’elle réponde au téléphone avec un « allo ? » dit avec l’accent d’oil, pour que je me rende compte qu’elle n’était pas anglophone.
Après quelques années passées ici, pour ceux qui viennent d’ailleurs, on devient fatigué de tout traduire. Cet exercice d’esprit requiert beaucoup d’énergie, et même de recherche. Est-ce que tout le monde sait ce que sont l’AÉFA, le GRIP-McGill ? On préfère le SSMU, le Frosh, et les autres. Le PGSS n’a même pas de traduction officielle. On s’indigne ! on s’insurge ! Le « Service Point de service » n’est pas capable d’issuer des documents dans un français intelligible, langue officielle de la province ! Mais qu’en faisons nous ?
Je dois dire que McGill offre à qui souhaite faire l’expérience du bilinguisme un terrain de jeux inestimable. Nous sommes des rats de laboratoire dans ce carrefour des langues. Nous parlons un anglais parfois plus complexe que notre français. On entend souvent « comment tu dis ça en français ? », rarement l’inverse. Nous modelons notre langue et notre intellect de façon à rendre ceux-ci compatibles avec le milieu dans lequel nous évoluons.