L’Université McGill ne fera pas d’enquête indépendante sur les allégations de collusion et de problèmes éthiques dans les travaux de recherches sur l’amiante du Dr. J. Corbett Mcdonald, professeur émérite de l’Université à la retraite.
Dans un rapport rendu publique mercredi le 17 octobre, le commissaire à l’intégrité de la recherche de l’Université McGill, le Dr. Abe Fuks, a rejeté les accusations et affirmé dans son rapport n’avoir pas constaté de « support aux allégations que les travaux de recherche de J. C. M. étaient influencés ou affaiblis par la source des fonds, à l’affirmation qu’il ait nié ces sources ni que l’Université ait agi en collusion avec l’industrie de l’amiante ».
En février dernier, suite à la diffusion d’un épisode de l’émission Enquête de Radio-Canada, exposant un lien financier entre le Dr. Mcdonald et l’industrie de l’amiante, un regroupement de 30 experts a demandé la tenue d’une enquête indépendante. Dans une lettre envoyée aux membres du Conseil d’Admnistration de l’Université McGill le 2 février 2012, et rendue publique dans différents médias, le groupe accusait l’Université d’entretenir une alliance avec l’industrie, « concrétisée quand l’AMAQ [l’Association des Mines d’Amiantes du Québec] a commencé à financer la recherche épidémiologique portant sur l’amiante du professeur J. C. McDonald et de son unité de recherche à l’Université McGill ».
L’AMAQ est un regroupement de l’industrie qui reçoit plus de la moitié de ses fonds directement de la compagnie Johns-Manville, celle–là même qui possède et exploitait la mine Jeffrey à Asbestos, en Estrie.
En 1965, voulant redorer un blason terni par de plus en plus de critiques, l’AMAQ et l’industrie de l’amiante en général ont cherché « une alliance avec une université, telle que McGill […] pour donner une apparence d’autorité à sa publicité », telle que noté dans la lettre au conseil. En 1966, l’AMAQ a donc fondé et aidé à établir l’Institut de la santé et de l’environnement de l’AMAQ à McGill, avec comme principal investigateur le Dr. Corbett McDonald. Son président « Karl V. Lindell, [était aussi] président du conseil de Johns-Manville Canada Co. ».
L’accusation formelle portée contre l’Université et son ancien chercheur par le groupe de scientifiques affirme que l’Institut de la santé et de l’environnement de l’AMAQ et le Dr. McDonald auraient eu « une influence délétère significative dans le reste du monde en faisant la promotion d’une information contrôlée et financée par l’industrie de l’amiante ».
En réponse aux accusations, le Dr. David Eidelman, doyen de la Faculté de médecine, a annoncé que l’Université mènerait sa propre étude interne. « Les allégations mises de l’avant dans les médias indiquant que les travaux de recherche de l’un de nos professeurs émérites à la retraite, le Pr. J. Corbett McDonald, aient pu être influencés par l’industrie de l’amiante sont très sérieuses et doivent être abordées », affirmait Eidelman dans un communiqué.
Le rapport de Fuks visait à définir la nécessité de déclencher une enquête indépendante. Le résultat, tel qu’annoncé par Eidelman lors du sénat du 17 octobre, établit qu’il n’y a pas de base pour une telle enquête. « C’en est assez avec ces allégations, nous n’avons pas d’investissements dans l’industrie de l’amiante », ajoute-t-il.
Histoire des travaux
J. Corbett McDonald a commencé à étudier les effets de l’amiante sur la santé en 1966, et a publié plusieurs études entre 1971 et 1998. Dès le début de ses recherches, en 1966, une grande partie des recherches de M. McDonald furent financées par l’AMAQ.
Lors d’une conférence de presse mercredi dernier, Eidelman a insisté à plusieurs reprises que John Corbett McDonald a « démontré que l’amiante sous toutes ses formes augmente le risque du cancer du poumon ». Mais ce résultat serait accepté presque universellement, y compris par l’industrie elle-même. La controverse se situe plutôt sur le fait que McDonald ait indiqué que les risques de santé liés au chrysotile d’amiante étaient de beaucoup inférieurs à ceux d’autres fibres d’amiante.
L’amiante est utilisé principalement sous deux formes selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS): «[le] chrysotile [amiante blanc] et [le] crocidolite [amiante bleu]».
Selon Kathleen Ruff, haute conseillère auprès de l’Institut Rideau d’Ottawa quand McDonald a commencé ses recherches, l’industrie était en mode panique : « Leur seule stratégie pour survivre était de dire, oui l’amiante cause la mort mais la chrysotile peut être utilisée de façon sécuritaire ». L’utilisation de l’amiante chrysotile, qui présenterait 95% de l’amiante utilisé dans le monde, permettrait donc amplement à l’industrie de survivre.
Pas d’étude indépendante
Le commissaire Fuks rejette les allégations de fraude scientifique, selon lesquelles les travaux de recherche du Dr. McDonald à propos de l’amiante chrysotile serraient basées sur des données de qualité de l’air faussées. Le Pr. Eidelman affirmait que le fait que McDonald ait « tiré des conclusions différentes de la plupart des autorités à l’heure actuelle (…) ne constitue pas une faute disciplinaire ».
Eidelman ajoute que « l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) reconnaît également (…) que la question des risques de santé associés au chrysotile continue de prêter à controverse ».
Pourtant, l’OMS estime sur son site web qu’environ 107 000 personnes par an décèdent de maladies suite à une exposition « professionnelle » à l’amiante et que « toutes les formes d’amiante sont cancérigènes pour les êtres humains ». Ruff trouve que la façon dont Eidelman présente la position de l’OMS est « scandaleuse ». « La position de l’OMS est très claire, il n’y a aucune exposition [à l’amiante] sécuritaire », ajoute-t-elle.
Selon Ruff, ni McDonald ni McGill n’ont rendu publiques les données primaires sur lesquelles ils ont basé leurs conclusions et « rendent le tout impossible à vérifier ». Pourtant, le docteur Egilman, professeur à l’Université Brown, les a demandées à plusieurs reprises dans les dernières années.
« Le doyen Eidelman a dit que ce n’était pas possible de prendre une décision finale sur les recherches de Fuhrer […présidente du Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill …] parce que les données primaires manquaient toujours » ajoute Ruff. C’est pourquoi il aurait demandé conseil au docteur Fuks. Ce dernier mentionne dans son rapport que certaines données primaires ne sont pas disponibles, mais ne s’attarde pas sur ce sujet. « Les données publiées sont codés (…) Il n’est donc pas possible d’établir ces liens. »
D’un autre côté, le commissaire à l’intégrité convient dans son rapport que l’industrie de l’amiante a bel et bien financé les recherches du Pr. McDonald, mais conclut que le professeur n’est pas fautif de faute professionnelle. Fuks affirme que Macdonald a toujours annoncé la présence de ces liens dans ses publications et que « bien que l’on puisse considérer le financement comme terni, en soi, ceci ne fournit aucune preuve que les chercheurs ou la recherche ont été influencé à tort par les pourvoyeurs de fonds ».
Toutefois, selon Ruff, McDonald n’aurait pas toujours révélé que ses recherches étaient financées par l’industrie. Ruff affirme que « non seulement il n’a pas révélé, mais [alors qu’il témoignait internationalement contre la nécessité d’implémenter une protection plus rigoureuse], il a catégoriquement nié toute connexion avec l’industrie ».
Aux États-Unis en 1972, par exemple, devant un comité législatif qui allait se pencher pour savoir si des régulations plus strictes étaient nécessaires, McDonald se serrait présenté comme le président du département d’épidémiologie de l’Université McGill et dit être financé par un institut de santé professionnel. Il a toutefois négligé de spécifier qu’il faisait référence à l’Institut de la santé et de l’environnement de l’AMAQ, « créé, financé et contrôlé par l’AMAQ ». Dans son rapport, Fuks fait référence à l’Institut, mais lui associe un lien seulement « indirect » avec l’industrie, bien qu’il soit directement relié à l’AMAQ.
« Il présente ça de façon très trompeuse », s’exclame Ruff.
Eidelman de son côté explique que l’Université et les règlementations encadrant la recherche s’appliquent aux publications et non pas aux élocutions des chercheurs. «[McDonald] est libre de dire ce qu’il veut », affirme-t-il.
Application
Afin d’appliquer les recommandations de Fuks, McGill compte organiser une conférence académique « portant sur l’utilisation de substituts sécuritaires à l’amiante, particulièrement dans les pays en développement, et sur d’autres sujets d’intérêt public », annonce Eidelman.
La professeure et sénatrice Catherine Lu, se demande quelle est la politique de l’Université par rapport aux conflits d’intérêt, et recommande de se pencher sur le sujet « afin d’éviter les abus d’une institution de recherche par une industrie qui a son propre agenda ». « Il serait dans l’intérêt des chercheurs qu’on ait les bonnes procédures », conclut-elle.