La science et l’éthique sont comme un vieux couple. Mariés depuis déjà longtemps, chaque épreuve rencontrée (clonage, cellules souches, conquête de l’espace, OGM, tests sur les animaux, etc.) implique des assiettes cassées, des insultes, des cris à s’en arracher les cheveux. Puis, c’est l’amour, l’harmonie, l’un ne pouvant se passer de l’autre. C’est la passion, celle qui se manifeste quand tout est à perdre ou à gagner, mais qui ne révèle jamais la ligne à ne pas transgresser. C’est un peu comme si la science demandait parfois à l’éthique : « Est-ce que tu me trouves grosse ? ». À chaque fois, c’est la catastrophe.
L’avortement soulève une querelle dans ce couple, c’est indéniable. Ici, j’élaborerai sur les réflexions posées par des lecteurs dont les réactions ont été publiées dans la section « Opinion » du Délit du 16 octobre. (volume 101, numéro 04)
D’abord, la réforme législative espagnole permettant désormais aux filles de 16 ans d’avorter sans le consentement des parents met en évidence le cœur du débat. Alors que l’on peut envisager, comme un lecteur le rapportait la semaine dernière, qu’ «…à 16 ans, l’État considère qu’on a l’âge de décider de la vie d’un être humain mais pas de décider de notre propre vie : on ne peut pas voter, acheter un paquet de cigarettes, boire une bière…», on peut aussi affirmer que l’État considère qu’une grossesse a des répercussions bien plus dramatiques que de sortir en boîte. Les privilèges venant avec la majorité n’ont quant à moi rien à voir avec la « condamnation » de vivre une grossesse non-désirée. Le mot est fort, je sais, mais tomber enceinte sans le vouloir est une véritable condamnation dans nos sociétés occidentales. D’un côté, on nous dit qu’il faut performer académiquement, aller à l’école longtemps, faire carrière, prendre soins de notre apparence, se divertir, consommer des biens, consommer des services, s’enrichir, trouver l’âme sœur, fonder une famille viable, et ce, dans une chronicité spécifiée. De l’autre côté, il ne faut pas surconsommer, polluer, acheter des cosmétiques cancérigènes, gaspiller son argent et, surtout, tomber enceinte avant un temps donné.
La convention sociale commande à la fois d’avoir des enfants et de les avoir au bon moment. La convention sociale perpétue l’hyper-sexualisation et la diabolisation de l’avortement (du moins en Amérique du Nord). Le meilleur exemple de ces paradoxes, c’est nous, les étudiantes universitaires.
Nous sommes en âge de procréer depuis presque 10 ans maintenant, mais, pour des considérations sociales, nous faisons le choix d’utiliser des moyens de contraception. Nous avons une sexualité (ce qui est sain et dans l’ordre des choses de la société moderne), mais ne voulons pas d’enfants. Et si un accident arrivait… devrions-nous vivre notre grossesse ? Cesser d’étudier, s’appauvrir, mettre au monde un bébé sans père ? Ce que je veux illustrer, c’est qu’il est facile de croire que l’avortement est un choix alors que c’est notre environnement social, familial et économique qui commande nos décisions et inflige les conséquences de ces choix. Criminaliser l’avortement serait alors comme forcer quelqu’un à se frapper avec sa propre main, puis le frapper pour l’en punir. Tous les coups durs que la société leur imposerait seraient encaissés par des femmes à mes yeux innocentes en bout de ligne.
Quand on s’expatrie de la réalité vers le pays de la philosophie, on peut passer à un autre aspect du débat. Le fœtus est-il un humain ? À quel moment le droit du fœtus interfère-t-il avec celui de la femme ? À trois mois peut-être ? Jamais le trait ne pourra être définitivement tiré et la science n’est pas d’une très grande aide.
Un second lecteur se demande « Mais pourquoi interdire de vouloir se mettre dans la position de l’enfant ? Pourquoi ne pas vouloir étudier sereinement et objectivement si ce fœtus n’est pas déjà un Homme, et donc pourrait accéder à un certain nombre de droits ? ». Il est vrai que tout peut se débattre intelligemment, mais, personnellement, je ne peux accepter que ce soit le Parti conservateur qui le fasse, ou même tout autre parti politique présentant des idéologies plutôt que des idées. J’aimerais qu’on débute le débat par des prémisses, comme « la société veut le bien physique et psychologique des femmes et des enfants » et « la société veut que les individus naissent avec des chances égales », mais nous savons que les prémisses des politiciens sont « nous voulons être élus dans 4 ans par les adhérents à notre idéologie ». Stephen Harper en a d’ailleurs fait la démonstration en votant contre la motion de son député, l’avortement n’étant pas populaire dans la mince couche de son électorat lui permettant d’accéder à la majorité.
Alors de trois choses l’une : Soit nous attendons que la société s’assainisse et qu’elle ne requière pas des femmes d’avoir une vie prédéterminée où il ne faut pas avoir d’enfants avant 30 ans, soit on criminalise l’avortement pour combattre les femmes et ainsi engendrer une grande souffrance humaine, soit on prend une solution qui a fait ses preuves jusqu’à maintenant, qui est appuyée par le monde médical et le domaine social, qui est viable économiquement et qui ne fait pas de controverses au niveau moral : l’éducation !
Merci aux lecteurs du Délit pour ce dialogue et cette belle réflexion.