Monsieur Trudelle,le 30 octobre passé, vous écriviez une chronique dénonçant la mainmise des corporations médiatiques sur le CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), qui s’est récemment opposé à l’achat d’Astral par Bell (BGE). Vous affirmiez que le « méchant » dans cette histoire n’est nul autre que le CRTC qui, je vous cite, « ne devrait tout simplement pas exister », sous prétexte qu’«aucune réglementation n’est donc préférable à une telle réglementation ».
Ceci dit, bien que je sois en accord avec plusieurs points apportés dans votre chronique, je me dois de nuancer vos propos, car je suis plutôt d’avis que cette décision du CRTC est un pas dans la bonne direction.
D’abord, il y a certes un réel problème entourant l’indépendance du CRTC face aux grandes corporations. Constitué d’anciens employés de ces dites corporations, il est à se demander si un tel organisme peut réellement exister et agir dans l’intérêt public. Mais, contrairement à vous, je crois fermement que le 18 octobre dernier, il a bel et bien agit dans l’intérêt du public. Bien qu’il ait donné raison à Rogers et Québécor, n’oublions pas qu’il a aussi mis son pied à terre devant Bell, un géant des communications au Canada.
Prétendre qu’une telle transaction est bénéfique afin de faciliter la compétition néglige la réalité actuelle de la concentration médiatique au Canada. Selon un rapport d’Analysis Group, une firme de consultants située à Boston, 81,4% du marché de la câblodistribution est contrôlé par des compagnies qui en fournissent le contenu ; entraînant le Canada en première place des pays du G8 ayant la plus grande concentration médiatique dans l’industrie de la télévision. Or, selon vous, il serait préférable d’omettre une telle réalité et de permettre à Bell d’acquérir Astral et d’ainsi concentrer davantage notre sphère médiatique sous prétexte qu’elle favoriserait la compétition.
Malheureusement, ce n’est pas d’une compétition entre des corporations géantes dont nous avons grandement besoin, mais bien d’un espace médiatique alloué aux médias alternatifs et indépendants. Permettre l’accroissement d’un tel empire aurait été à l’encontre du besoin criant de place pour ces plus petites boîtes. Actuellement, un empire comme Québécor média est omniprésent dans la société : impression, édition de livres et de musique, commerce de détail, câblodistribution, télévision, édition de journaux et de magazines et j’en passe. Nous avons, entre autres, été témoins des dangers d’un tel empire dans l’affaire entourant l’amphithéâtre de Québec : le gouvernement était dans l’incapacité d’opposer le projet de loi 204 empêchant les appels d’offres pour l’amphithéâtre, scellant donc une entente entre le maire Labeaume et Pierre-Karl Péladeau. Évidemment, qui se serait opposé à un tel projet de loi ? Ou, plutôt, qui oserait se mettre les médias à dos ? Là repose le réel danger d’un système médiatique concentré. Là repose la logique derrière laquelle le CRTC a agit dans l’intérêt du public.
Plus encore, non seulement y avait-il une opposition parmi les autres compagnies médiatiques (légitime malgré leur motivation), mais un collectif d’artistes s’est également opposé à cette acquisition. Sous quel prétexte ? La perte d’une compagnie québécoise aux mains d’une compagnie anglophone canadienne. Leur argument demeure culturel, mais tout aussi préoccupant. On a tendance à observer ce genre de transaction qu’avec notre lentille économique ou politique. Pourtant, l’aspect culturel est non négligeable.
Bref, notre système médiatique souffre certainement d’une hyper concentration, générant par le fait même des empires plus puissants que nature. Il n’en demeure pas moins que nous ne devons pas nous abattre face à de tels constats. Il est trop tard pour revenir en arrière ; mais rien ne nous empêche de freiner l’aggravation de la situation. Pour reprendre l’expression de l’ancienne ministre de la Culture et de la Condition Féminine Christine St-Pierre, nous ne pouvons pas remettre la pâte à dents dans le tube.
Pour une fois, le CRTC a su dire non. J’applaudis sa décision en souhaitant qu’il puisse continuer à en faire ainsi.