« De toute façon, notre CV ne sera jamais assez rempli. » La phrase résonne dans les couloirs des résidences de McGill. Synonyme d’une angoisse réelle envers le monde du travail, qui tous les jours semble plus complexe et plus inaccessible pour de nombreux futurs bacheliers. C’est sûr, la possibilité de sécuriser une place dans une entreprise à la sortie de l’université parait de plus en plus impossible et beaucoup perdent espoir ; on repousse la graduation d’un an, on part voyager, préférant éviter la question : « À quoi ressemblera mon avenir ? ».
Depuis la crise de 2008, l’économie mondiale va de mal en pis : l’euro, de l’autre côté de l’Atlantique, entraîne dans sa chute des pays entiers, comme la Grèce ou l’Irlande. En Grèce, l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) estime que le chômage chez les jeunes (la portion des 16–25 ans) est de 55%, soit plus d’un jeune sur deux. Dans l’Europe en général, il est de 20.9%; le Canada offre un aperçu relativement meilleur, mais les chiffres sont toujours mauvais : 14.1% en 2011, selon le Huffington Post. Les statistiques ne sont pas seules à rationaliser la panique qui règne chez les professionels : aujourd’hui, la population planétaire a dépassé le seuil des sept milliards d’habitants. Il ne s’agit plus d’être bon pour être remarqué : il faut être le meilleur.
« Ce qui compte le plus, c’est le GPA », dit Sydney Maumusson, élève d’économie de troisième année à McGill. De nombreuses heures passées à remplir des formulaires, écrire des dossiers et prendre contact avec des entreprises pour des stages lui ont appris qu’un chercheur de tête ne va en général découvrir le profil d’un étudiant « qu’avec un CV et un livret scolaire » : seuls ces deux critères vont décider de la chance d’avoir un entretien. La logique est claire : si le GPA est médiocre, impossible de décrocher le stage.
Catherine Stace, conseillère au Service de planification de carrière de McGill (le Career Planning Service, CaPS), voit au contraire les choses d’un autre œil : « le plus important, c’est de prendre part à la vie estudiantine ». Cela veut dire s’impliquer réellement dans une association ou dans un groupe ; être un membre actif, pour pouvoir dire à l’employeur « voilà ce que j’ai fait ». De son point de vue, cela est même plus important qu’un stage en entreprise, où « il existe le risque de n’apprendre qu’à servir du café aux collègues ».
Les élèves sont entrainés, malgré eux, dans un cercle vicieux : en Amérique comme en Europe, les employeurs voient leurs chiffres d’affaires baisser et sont forcés, pour rester à flot, de licencier des proportions parfois considérables de leurs effectifs. D’après un article publié dans le Globe and Mail, les entreprises ne peuvent pas se permettre « d’embaucher des personnes jeunes et sans expérience ». Catherine Stace constate en effet une offre moins importante de postes de la part de grandes compagnies : ce sont plutôt les petites et moyennes entreprises (PME) qui font signe à CaPS, n’offrant toutefois jamais plus d’un poste.
Zone du marché du travail : étudiants interdits ?
Catherine Stace réfute cette équation, rappelant qu’une carrière « ne va jamais en ligne droite », qu’elle est parsemée d’expériences multiples qui ne peuvent être imaginées a priori. S’il est effectivement rassurant d’avoir un but clair le plus tôt possible, les chemins à prendre sont nombreux, inconnus et changent fondamentalement d’un jeune à l’autre. Il est naturel d’avoir une idée en tête qui, petit à petit, laisse place à une autre, puis une autre, jusqu’au moment où l’étudiant peut se dire avec conviction : « Voilà ce que je veux et peux faire ».
En clair, pour la conseillère de CaPS, la pensée inquiétante « je vais recevoir mon diplôme et je ne sais pas quoi faire » est tout à fait naturelle ; si les réponses sont de plus en plus complexes, elles existent néanmoins.
Un problème fondamental est enfin celui de l’information ; beaucoup d’élèves ne sont pas au courant des sessions d’informations de CaPS, ou comme l’indique Sydney, « de la façon dont marche le site myfuture [site qui recherche une carrière adéquate pour chaque étudiant, ndlr]». Non seulement ça, mais le processus pour décrocher un stage ou un « petit boulot » est « compliqué et fatiguant » : ce sont des heures passées à faire en sorte que rien ne soit laissé au hasard, éviter le petit détail qui peut jouer à la défaveur du candidat.
L’économie devient constamment plus opaque, plus incompréhensible. La croissance est devenu un idéal, le taux de chômage une inquiétude de tous les jours. Jeté dans un tel environnement à la fin de son baccalauréat, l’angoisse de l’élève universitaire est bien compréhensible ; et avant que cette dernière laisse place à un sentiment d’espoir… il y a encore un long chemin à faire.