Le vestibule était superbe : du tapis, des aquariums, de hauts plafonds et… des sourires ! Tous ces gens en uniformes blancs nous souriaient, nous rassuraient. Même la secrétaire était de bonne humeur ! Je n’étais pas dans un hôtel cinq étoiles, mais bien dans un hôpital aux États-Unis, en Caroline du Nord. C’était il y a trois mois, après qu’un proche s’était cogné la tête en plongeant dans une vague au bord du Cap Hatteras. Après une arrivée en ambulance les infirmières s’en occupèrent immédiatement. Pendant que je remplissais les papiers dans la salle d’urgence, j’ai constaté que nous étions environ 10 personnes assises dans ce qui ressemblait davantage à un salon qu’à une salle d’attente. Quand le médecin est arrivé pour ausculter le blessé, j’ai voulu me pincer tant je n’en croyais pas mes yeux. Le docteur avait l’air calme et était parfaitement bronzé. Il s’est excusé de l’attente, paroxysme de ce moment surréaliste. Mais qu’est-ce que c’est que cet hôpital ? L’auscultation, le scan, la lecture du scan par un radiologue et l’auscultation finale se firent en deux heures.
Court périple vers le nord… Le bâtiment était beige, les chaises grises, l’odeur désagréable. Aucun sourire, ni de beau tapis cette fois-ci. Une morosité régnait, c’était triste. Soirée dans un hôpital de la couronne nord de Montréal. C’était la semaine dernière alors qu’un proche souffrait d’un calcul reinal. Si son admission fut immédiate, la visite du médecin et les soins tardèrent. On ne s’adressait pas à la famille, seulement au malade qui pourtant ne pouvait que difficilement répondre aux questions. On ne nous rassurait pas, ne nous informait pas ni des soins prévus, ni des délais. J’étais invisible et impuissante. Dans le corridor, des gens dormaient sur des civières, les infirmières et infirmiers courraient dans tous les sens, et les médecins se faisaient rares. Vingt heures plus tard, sans même avoir pu compléter le diagnostic ni aucun conseils ou informations on quittait l’hôpital : « on vous rappellera si on voit quelque chose sur la radio ».
Cette différence de traitement représente en fait une différence de plusieurs liasses de billets ! Les soins effectués en Caroline du Nord auraient en effet coûté plus de 200 000 dollars.
Entre 1957 et 1961, le système de santé universel fut instauré dans tout le Canada. La volonté des citoyens de tout le pays à créer une gratuité d’accès aux soins dans le but de respecter des valeurs d’équité et de justice sociale était à la source de ce grand projet. Cette volonté est d’abord née en Saskatchewan, puis le gouvernement fédéral a mis en place les mécanismes légaux d’un océan à l’autre.
De nos jours, ce système universel est toujours en place, mais souffre d’attente chronique et de carence en médecins et en infirmières. La problématique est multiple.
Le Canada ne se classe que 10e dans la notation du Conference Board du Canada (un organisme à but non lucratif et non partisan). L’écart entre la première place et la nôtre peut s’expliquer par : l’accès à la médecine de première ligne, les soins accordés aux malades chroniques, l’attente en urgence, l’attente pour rencontrer un spécialiste et l’attente pour les chirurgies.
Au banc des accusés comparaissent le sous-financement et les agences de santé, mais aussi le coût des médicaments.
En 2008, le rapport Castonguay créait une polémique. Le but des travaux commandés par le gouvernement libéral était d’établir un maximum de possibilités afin d’ « en avoir pour notre argent ». Le budget du ministère de la santé engloutissant environ 50% du budget total annuel et n’en voyant pas les répercussions positives attendues dans le réseau de santé, il était normal de réévaluer les aspects organisationnels et financiers du système. Par contre, les conclusions n’ont pas plu pas aux défenseurs de l’universalité, soit la Coalition Solidarité Santé et les Médecins Québécois Pour le Régime Public (MQRP). En général, la marchandisation des soins par un réseau privé, la privatisation de la gestion des hôpitaux, ou l’instauration d’une franchise annuelle selon les soins accordés et le revenu sont des mesures qui ne plaisent pas à la population non plus.
Effectivement, l’aspect idéolo-gique prend toute la place dans ce débat puisqu’on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres. Selon des exemples étrangers et des faits fiscaux établis, tout est possible : privé, gratuité, deux vitesses, un médecin de famille pour tous les Québécois, ou encore un Québécois par médecin de famille. Les sciences économiques et sociales sont loin d’être exactes. Il incombe donc à la population de décider, de prendre position avec les données présentées. A‑t-on soif de justice sociale ou de responsabilité individuelle ? D’équité ou d’égalité ? De solidarité ou d’efficacité ?
Le bipartisme du Québec pourrait nous amener vers une alternance d’idéologies opposées ad vitam aeternam. C’est ce qui est arrivé avec la taxe santé. Instaurée dans une lignée de tarification des services à l’époque du gouvernement Libéral, son annulation faisait partie du programme de campagne du parti présentement au pouvoir. Ce va-et-vient constant crée la dette et la confusion. Un référendum pourrait être la solution, car cela permettrait d’engager les gouvernements des vingt prochaines années à prendre une direction spécifique. L’universalité, les deux vitesses ou la privatisation ? Au moins, cela forcerait les partis à prendre des décisions dans le cadre d’une ligne directrice.
Alors que je croyais vivre dans un pays riche, ma désillusion a été grande quand je mis les pieds dans cet hôpital beige. Cette visite m’a fait réaliser que ce n’était de la faute de personne et de tout le monde à la fois. Elle m’a attristé puisque je suis certaine que nous avons les moyens de tout régler, d’arriver à de hauts standards dans le régime public comparables à ceux des pays scandinaves et du Japon. Ça m’a aussi fait aussi réaliser le sacrifice social que les Canadiens ont fait en 1957. Ils ont renoncé aux luxueux tapis, à un service clientéliste exemplaire, aux télés dans les salles d’attente et aux aquariums pour que plus de gens soient en santé. Bien plus en santé que nos voisins du Sud dont les choix furent différents.