Malgré quelques dirigeants des Premières Nations manquant à l’appel, le Premier ministre Stephen Harper a tenu une rencontre avec la plupart des chefs autochtones à Ottawa, vendredi le 11 janvier. La présence de Stephen Harper pour l’ensemble des pourparlers, alors qu’il avait annoncé qu’il ne participerait qu’à une heure de ceux-ci. Cela n’a pas semblé être suffisant pour convaincre l’ensemble des dirigeants autochtones de participer, certains réclamant que le rendez-vous se tienne dans un hôtel et que David Johnston, le gouverneur général du Canada, soit aussi présent. Le but de cet échange entre les deux parties était de parler directement avec le gouvernement canadien pour mettre en avant les divers problèmes touchant les communautés autochtones, ceux-ci risquant de s’amplifier à cause de la nouvelle politique de Harper. Résultat : une entente pour mener de futurs dialogues entre le gouvernement et les Premières Nations afin d’étudier leurs revendications. Pas de changement sur les projets de lois onmibus contestés C‑45 et C‑38, ni sur la distribution des revenus tirés des ressources naturelles.
Peu d’entre eux étaient optimistes par rapport aux résultats de cette rencontre. C’est le cas de Will Straw, directeur de l’Institut des Études sur le Canada de McGill. Il a confié dans un courrier électronique adressé au Délit que « le gouvernement conservateur a abordé [les protestations des autochtones] d’une manière bien différente des gouvernements précédents. Il montre plus d’intérêt à exposer ce qu’il juge être de la mauvaise gestion des ressources de la part des communautés autochtones [plutôt] que de résoudre des choses épouvantables comme les crises de logement des communautés du Nord canadien ou, par exemple, le problème des femmes autochtones ‘’disparues’’».
Malgré l’ouverture à venir de futurs pourparlers, il pourrait être complexe pour le gouvernement fédéral de dialoguer avec les diverses communautés autochtones qui ne partagent pas toutes les mêmes problématiques et les mêmes points de vue sur certains enjeux.
La grève de la faim se poursuit
Malgré le fait que le Premier ministre canadien ait rencontré les dirigeants des Premières Nations, Theresa Spence, chef de la réserve autochtone d’Attawapiskat, continuera son jeûne qui a débuté le 11 décembre 2012. Dès le commencement, ses revendications étaient claires : rencontrer directement le Premier ministre canadien afin de s’attaquer aux multiples problèmes auxquels font face les communautés autochtones du pays. Elle a assisté à une rencontre avec le gouverneur général vendredi, mais n’a pas rencontré Stephen Harper, car l’absence de David Johnston à l’échange était inadmissible pour elle. La chef d’Attawapiskat reste ainsi campée sur l’Ile Victoria à Ottawa, où elle préfère attendre la suite des choses afin de voir si réellement le gouvernement agira pour améliorer le sort des Premières Nations. Selon Will Straw, « cette grève de la faim mobilise évidemment beaucoup de Canadiens et les [force] à réfléchir au statut et à la condition des autochtones du Canada, ce à quoi ils ne passent pas beaucoup, et parfois n’y pensent que dans des moments de protestations publiques comme celui-ci. N’importe quelle action qui garde les problématiques reliées aux autochtones à l’avant-plan est importante ».
« Idle no more »
En parallèle de la grève de la faim de Theresa Spence, un nouveau mouvement a vu le jour à la mi-décembre, connu sous le nom original de « Idle no more », qui n’a pas encore été traduit officiellement en français, mais qui peut correspondre à « cessons l’apathie ». Ce mouvement s’est créé en réaction aux divers projets de loi conservateurs et au refus de laisser entrer des dirigeants autochtones à la Chambre des Communes pour discuter du projet de loi C‑45 en décembre dernier.
Né au Canada grâce à l’initiative de quatre femmes autochtones et non-autochtones de la Saskatchewan, le mouvement de contestation revendique la souveraineté autochtone et le droit de ce peuple de conserver ses terres et ses ressources, comme on peut le lire sur leur site web (idlenomore.ca).
Le mouvement appelle clairement à mettre fin à la « colonisation » envers les peuples autochtones et invite ceux-ci à reprendre possession de leurs droits. Ce nouveau mouvement de contestations ne concerne pas seulement les autochtones, mais aussi tous les citoyens du Canada qui se sentent interpelés par les changements radicaux proposés par le gouvernement Harper.
Le mouvement « Idle no more » a gagné de l’importance au niveau mondial. Plusieurs actions (manifestations, blocages de voies de transport, débats, etc.) ont ainsi eu lieu tout au long du mois de décembre et se poursuivront dans les mois à venir au Canada et à différents endroits de parts et d’autres du globe. Les quatre investigatrices ont toutefois spécifié que ces actions devaient être pacifiques.
« Je pense que le mouvement va continuer. Ça parle à tout le monde, à divers niveaux. On se demande parfois qu’est-ce que le mouvement ‘’Idle no more’’ revendique. Il y a beaucoup de choses de mélangées ; Theresa Spence, la loi C‑45, l’environnement… Je pense que c’est comme une sacoche. Je suis confiante envers le mouvement. Je crois que parce que ça vient de la base, on est capable de s’entendre », explique Mélissa Lebel.
Pendant ce temps, le Canada manifeste
Alors que les dirigeants des Premières Nations rencontraient le gouvernement canadien, de nombreuses manifestations se sont tenues partout dans le pays. À Montréal, plusieurs centaines de manifestants se sont retrouvés devant le Palais des Congrès en début d’après-midi le 11 janvier afin de soutenir les revendications autochtones. Avant d’entamer la marche, plusieurs discours ont été prononcés par divers organismes et groupes.
Une manifestante, Mélissa Lebel, voit d’un bon œil cette mobilisation : « On a beaucoup de méconnaissance au Québec [quant à l’histoire et la réalité des autochtones]. On a vraiment besoin de partager l’information. C’est nouveau, avec ‘’Idle no more’’, qu’il y ait autant de support de la part des autochtones ainsi que des non-autochtones. C’est comme un nouveau discours qu’on entend. Je suis ici aussi, car je suis contre la loi C‑45, ça nous touche tous, et [‘’Idle no more’’] est le seul médium qui existe pour l’instant au Québec pour manifester contre cette loi ».
Une ribambelle de gens composée d’autochtones, de non-autochtones, d’anglophones, de francophones, d’enfants, d’adultes et d’étudiants déambulait main dans la main pour former une immense chaine, dansant au son de tambours et de chants autochtones. Les manifestants ont ensuite commencé à marcher dans les rues, plumes rouges en vue, symbole à saveur québécoise du mouvement de contestations des Premières Nations. La manifestation s’est terminée au parc Émilie-Gamelin où l’ainée amérindienne a clôt l’événement par une prière comme le veut la tradition.
Une organisatrice s’est aussi exprimée devant la foule : « Tout ce que j’espère, c’est que M. Harper regrette d’avoir réveillé l’ours qui dort en hiver ». Selon Philippe, un manifestant et autochtone de la Bolivie, « les Premières Nations se sont fait marcher dessus par le gouvernement et c’est le temps de se réveiller. C’est le temps de s’unir pour mettre une pression pour gagner notre cause ».
Vers un programme d’étude sur les autochtones à McGill
En processus depuis quelques sessions, un nouveau programme d’étude sur les communautés autochtones devrait voir le jour en septembre 2013 à McGill, dépendamment du temps que les procédures administratives prendront. Will Straw en est l’initiateur, considérant que, selon lui, l’Institut sur les Études du Canada qu’il préside semble être une institution favorable pour donner un tel cours. Le programme s’articulerait autour de différentes thématiques comprises dans la faculté des Arts de l’Université (histoire, culture, société, problématiques économiques, etc.), et se concentrera d’abord sur les Premières Nations du Canada, mais pourrait également parler des autochtones des Amériques, voir même du monde entier. « Étant un lieu majeur d’apprentissage, situé rappelons-nous sur des terres Mohawk, McGill a la responsabilité d’inclure les problématiques concernant les Premières Nations comme un des enjeux clés auxquels font face notre société et notre culture. Les universités, comme on le sait, sont plus que des institutions fabriquant des diplômes. Ce sont des lieux d’échange et de construction pour les communautés », précise Straw. La bataille entre les deux parties ne fait que commencer et il ne tient qu’au Premier ministre de se montrer ouvert aux négociations.
C‑38, C‑45 : Des lois dites
« mammouths » qui déplacent de l’air
La relation entre les premières nations et le gouvernement actuel s’est envenimée alors que les conservateurs ont déposé leur deuxième projet de loi budgétaire dit mammouth à l’automne dernier, le projet de loi C‑45, suivant les mêmes changements draconiens de son homologue C‑38. Ces deux projets de loi ont entrainé la grogne chez les autochtones en affectant divers points concernant l’environnement : abandon de protection de diverses espèces de poissons par la modification de la loi sur les pêches, abandon de la protection de la majorité des lacs et rivières au Canada, allègement des processus d’évaluation environnementale pour les grands projets, modification de la loi sur les Indiens en réduisant le nombre de personnes devant être consentante pour déterminer le sort d’une terre ancestrale… Les décisions gouvernementales de la dernière année au nom de l’équilibre budgétaire risquent d’affecter directement le mode de vie des populations autochtones, mais aussi l’environnement de tous les canadiens.